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Robert Wyatt - Traverses - N° 3 - Janvier 1999
ROBERT WYATT
Suite des rééditions remasterisées des œuvres solistes de Robert WYATT.
Après Rock Bottom et Ruth is Stranger than Richard (v. TRAVERSES n° 2), c'est au tour des principaux opus des années 80 et début 90, en attendant la parution en février d'un coffret regroupant singles, mini-albums, vidéos promo et remixes. Le prétexte était idéal pour revenir sur ces productions sans doute moins connues ou mésestimées, d'autant que la première biographie rédigée sur WYATT vient récemment d'être traduite en français.
Nothing Can Stop Us ( 1982, Rough Trade - rééd. 1998, Hannibal - Rykodisc / Harmonia Mundi)
A la fin des années 70, le marché de la musique tourne le dos à tous ceux dont la pratique musicale s'inscrit dans une réflexion et une démarche individuelle ou collective à perspective créatrice et ne devient qu'une usine à fabriquer des hits pour abrutir les masses.
Le dialogue entre artistes et maisons de disques s'en va à vau-l'eau... de boudin. Robert WYATT, sceptique quant à la possibilité de se faire
encore entendre, se réfugie dans les bouquins pour parfaire sa culture et s'inscrit au Parti communiste anglais pour maintenir sa conscience politique en éveil. Son rendement créatif souffre alors de léthargie. Geoff TRAVIS, le patron du label Rough Trade, vient cependant secouer le brave Robert, qui se risque donc à enregistrer quatre singles comprenant des reprises. Paru en 1982, Nothing Can Stop Us regroupe ces singles et leurs faces B et comprend en outre deux nouvelles compositions, Born Again Cretin et Red Flag. Présenté sous l'angle peu ragoûtant de ce qu'il faut bien appeler une compilation, ce recueil est pourtant le garant de la possibilité (de la nécessité) pour un créateur tel Robert de continuer à faire valoir ses options dans un contexte a priori hostile à celles-ci, et ce, sans jamais déroger à la règle du format single.
Ayant fait sien le principe selon lequel le verbe doit figurer un engagement, un acte politique, Robert WYATT reprend ainsi des chants ou des hymnes à caractère révolutionnaire, tel Caimanera, adapté de l'hymne cubain non officiel Guantanamera ; Strange Fruit, qui dénonce les lynchages des Noirs dans l'Amérique des années 30 ; ou encore Arauco, chanson chilienne évoquant la colonisation des tribus indiennes, tandis que Red Flag (" Mon beau sapin... ") en appelle à l'unité des ouvriers du monde. La reprise de Stalin wasn't Stallin du GOLDEN GATE QUARTET et celle du tube disco du groupe CHIC At Last I'm Free, avec son ambiance fin de soirée dans un club aux bouteilles vides de liquides mais pleines de fumées, ne déparent évidemment pas dans cet ensemble, si l'on veut bien considérer leur connotation politique.
Nothing Can Stop Us rend d'autant plus compte du caractère unique des singles de WYATT que celui-ci a même convié d'autres artistes à se produire sur ses faces B.
Ainsi Peter BLACKMAN vient-il réciter son poème Stalingrad, alors qu'un groupe de musiciens bengali, DISHARI, représentant d'une organisation culturelle en faveur du Bengladesh, accompagne Robert sur Grass avec ses shenaï et tablas et nous gratifie d'un Trade Union de circonstance.
On aura compris que cet album rend un hommage respectueux et revendicatif en faveur des minorités " indigènes " et, à ce titre, mérite d'être considéré comme l'une des œuvres de référence de la " World Music ", au sens noble du terme.
De la part de quelqu'un qui prétendait avoir atteint le degré quasi zéro de la créativité, Nothing Can Stop Us se révèle être un album de haute cohérence. Celle-ci n'était certes pas préméditée, mais vu les thèmes abordés dans ces " simples ", leur réunion sur un LP ne pouvait qu'établir une remarquable logique politique et intellectuelle, à défaut d'une grande homogénéité musicale. (Mais cette dernière considération est insignifiante, je suis bien d'accord avec vous !)
Old Rottenhat (1985, Rough Trade - rééd. 1998, Hannibal - Rykodisc / Harmonia Mundi)
Passent les années et brûle encore la flamme de l'engagement révolutionnaire chez WYATT, de sessions en collaborations diverses. C'est l'époque où il enregistre sa version de Biko et The Wind of Change / Namibia, avec un groupe d'Afrique du Sud, THE SWAPO SINGERS. En 1985, Robert a retrouvé un potentiel d'écriture suffisant pour faire un nouveau disque. Ce sera Old Rottenhat, dédié à Michael BETTANY, un ouvrier anglais manipulé et accusé d'avoir livré certaines indiscrétions au bloc de l'Est ; son histoire posant, selon WYATT, le problème de la liberté individuelle dans une société donnée. Robert traite dans cet album du sort inique de la classe ouvrière (Alliance), fustige le capitalisme (The Age of Self), l'impérialisme anglais (The British Road) et la société de consommation (Mass Medium). Enfin, il n'oublie pas non plus de réveiller la conscience coupable des Etats-Unis par rapport à la cause indienne dans le bien nommé United States of Amnesia. (" And if you killed all those red skins long, long ago, well they'd all be dead now anyway (...) Build your aryan empire in Peace. ")
La bonne conscience moralisatrice de la culture orientale et américanisée est ainsi prise à partie avec une détermination lucide et meurtrie. Cela s'en ressent sur le plan musical puisque la voix de Robert se fait encore plus spectrale et que seuls quelques claviers, percussions et boîtes à rythmes lui servent de support fragile.
A cette aridité instrumentale s'ajoute une rectitude, voire une austérité textuelle qui bannit tout ce qui pourrait passer pour une allusion trop floue, une formulation trop vague ou une métaphore trop évasive. Robert WYATT s'est appliqué à écrire des textes où ses idées sont formulées sans aucune ambiguïté possible, de manière à empêcher toute récupération malsaine. Si l'on n'est plus dans Rock Bottom, on est à coup sûr dans le " Politic Bottom ".
Dondestan (revisited) (1991, Rough trade - rééd. 1998, Hannibal - Rykodisc / Harmonia Mundi)
L'histoire n'aura pas attendu le changement de siècle pour procéder à ces coups de théâtre qui ont le don de bouleverser les repères idéologiques des hommes. Les manichéismes ne sont plus ce qu'ils étaient, mais il y a néanmoins encore pas mal de causes à défendre et de questions à poser.
Dondestan, en espagnol, signifie " Où sont-ils ? " et fait référence aux apatrides. Mais Dondestan, c'est aussi une communauté mythique, peut-être pas le village mondialiste dont on rêve aujourd'hui, mais en tout cas la communauté de ceux qui n'ont plus ou pas de racines.
C'est de nouveau pour WYATT un album solo, mais solo ne signifie pas forcément en solitaire. Les textes sont en fait des poèmes de sa femme, Alfie (qui conçoit également les pochettes), sur lesquels Robert a composé des musiques ; et le camarade Hugh HOPPER est également venu caser une compo (LISP Service). Le minimalisme de l'instrumentation (claviers, percussions) permet à WYATT d'épanouir son chant plaintif en de funambulesques mélopées et certains climats sont réminiscents de Rock Bottom, le vieil orgue qui avait servi jadis ayant été déterré pour l'occasion. Sight of the Wind et Catholic Architecture resteront à jamais de rares et émouvantes émanations de ce que l'âme humaine a d'indicible. Au contraire de Nothing Can Stop Us et de Old Rottenhat, réédités sans aucun changement hormis la remastérisation, Dondestan a pour sa part subi quelques transformations sur le plan sonore
Du fait de contraintes de temps, la première édition avait été, d'après Robert, mixée un peu trop sur le pouce ; l'album a donc été entièrement remixé. Il s'agit toujours des mêmes morceaux, des mêmes prises, mais dont la géographie sonore (masses instrumentales, lignes vocales, tracés rythmiques) bénéficie d'une mise en relief plus contrastée. Et quand bien même les versions sont celles de l'édition originale, il a été procédé de-ci, de-là à de légères modifications : la partie instrumentale de CP Jeebies a été écourtée, l'entrée des percussions différée sur Dondestan, le phrasé de batterie repensé sur Shrinkrap, alors que Workship gagne une minute instrumentale supplémentaire. De plus, toutes ces perles se suivent dans un ordre différent du premier Dondestan. L'essentiel, c'est-à-dire l'envoûtement émotionnel, a été heureusement préservé, il se bonifie même grâce à cette restauration de printemps.
Comptant parmi les plus beaux opus de WYATT, Dondestan se remet à briller. Les diamants ont beau être éternels, il faut veiller à en améliorer l'éclat. Voilà qui est fait. Ajoutons qu'une partie CD-ROM complète la piste audio et contient un entretien de près de vingt minutes avec notre " little red Robin Hood " préféré.
Robert WYATT - Faux Mouvements (éditions du Camion Blanc)
C'est assurément une initiative inspirée de la part des éditions du Camion Blanc que de rendre enfin disponible sur notre territoire la
biographie sur Robert WYATT réalisée par Michael KING, et qui plus est, traduite ! Il y a là-dedans tout ce que le moindre admirateur
du personnage pouvait rêver d'apprendre. L'originalité de l'ouvrage était en effet de retracer le parcours si peu commun de Robert ELLIDGE WYATT, non sous forme d'un exposé fastidieux mais à partir de témoignages divers, les siens comme ceux des gens qui ont partagé son histoire à un moment donné, des débuts de sa carrière de musicien jusqu'à aujourd'hui.
Les trois quarts du livre s'attardent surtout sur la période des années 60-70, celle qui recouvre donc les aventures ô combien épiques et hallucinées du DAEVID ALLEN TRIO, de SOFT MACHINE, de CENTIPEDE, de MATCHING MOLE, etc. C'est toute une époque et un état d'esprit qui ressurgissent avec la sensation du direct. Quantité d'anecdotes et d'informations concernant les tournées, les concerts, l'enregistrement des albums et les rencontres des artistes sont ainsi livrées au grand jour, c'est dire si nous avons affaire à une source de renseignements particulièrement profuse !
On s'explique donc mal pourquoi l'objet, étant donné son importance, pâtit d'un certain nombre de négligences qui, accumulées, lui portent un cinglant préjudice.
D'abord, une bonne partie des documents visuels de la version originale ont été supprimés. Il était pourtant facile de leur faire de la place en réduisant la taille des caractères, pour le moins voyants dans cette édition française...
Mais il y a plus grave : l'ouvrage est en effet truffé de toutes les coquilles et fautes de frappes, d'orthographe, de syntaxe et d'accord grammatical possibles et imaginables ! On se croirait au BHV du bêtisier de l'édition. C'en est à un point tel que les propos traduits en deviennent parfois flous ou ambigus et flirtent sans vergogne avec l'incompréhensible. Déjà que les différents entretiens recueillis ne sont pas datés (on ne sait s'ils sont d'époque ou postérieurs à celle-ci), il
n'était pas utile de bouleverser davantage la chronologie en jonglant avec les temps des verbes (il y a parfois trois temps différents dans une même phrase)...
Je sais qu'il est facile de critiquer, mais je vous prie de croire que, à TRAVERSES, on connaît bien le problème ! Et je ne dénonce pas seulement ici le fait qu'on ait écrit " sceau " au lieu de " seau ", mais surtout des approximations dans la traduction qui engendrent des âneries de première classe. Je suis désolé, mais une " jews harp " n'est pas une " harpe juive ", c'est une guimbarde ! En outre, je ne savais pas qu'Ornette COLEMAN était une femme ! Ou alors il s'est fait faire une opération... (Mais on ne me dit jamais rien, à moi ! Je le
savais, c'est un complot...)
Pour finir, il faut croire que tous les efforts ont été fournis pour rendre la discographie de fin de volume suprêmement illisible, avec ses abréviations et ses chiffres qu'on ne sait pas quoi-t'est-ce qu'ils veulent dire... Ah, au fait, vous saviez, vous, que le premier 45 T de SOFT MACHINE, sorti en 1967, était un sampler CD ?
On en apprend de belles, des vertes et des pas mûres... Ce n'est pas parce que cet ouvrage était censé s'adresser à un public spécialisé
qu'il fallait passer outre à toute exigence de rigueur typographique. Malheureusement, c'est au lecteur de payer l'addition !
T.B. et S.F. |