Robert Wyatt plus visible que jamais après trente ans d'éclipse

Le chanteur, pianiste, percussionniste et ancien batteur britannique, paralysé depuis 1973, fait l'objet de trois disques, et un hommage lui est rendu au Théâtre de Charleville-Mézières.


Viendra, viendra pas ? A chaque fois que des musiciens célèbrent sur scène le chanteur, pianiste, percussionniste et ancien batteur Robert Wyatt, ses admirateurs se posent la question. Le 1er juin 1973, lors d'une fête, Wyatt était tombé accidentellement de la fenêtre d'un appartement londonien et s'était brisé la colonne vertébrale. Il vit depuis dans une chaise roulante. Aux problèmes logistiques de ses déplacements hors de sa maison de Louth, lieu de vie et de travail à trois bonnes heures de route de Londres, s'ajoute, comme il nous le confiait en février 1999, la pudeur, voire l'appréhension, à l'idée de se retrouver sur scène. Même en sachant que le regard de son public sera tendre et respectueux.

S'il avait été absent en octobre 1999 de la présentation au Nancy Jazz Pulsations de Soup Songs par une nonnette britannique qui perpétue son œuvre, Wyatt avait, un mois plus tard, assisté en coulisse au concert du même groupe dirigé par la tromboniste Annie Whitehead lors du London Jazz Festival. "Ma présence aura été ce qui se rapprochera au maximum de l'idée de mon "retour" scénique", avait-il alors plaisanté. Reste que toute initiative est suivie de près par Wyatt, qui pose volontiers sa voix sur un arrangement d'une de ses chansons dans des disques (par exemple, ces dernières années, dans l'hommage des musiciens italiens réunis pour The Different You, avec Pascal Comelade, John Greaves...), envoie parfois un inédit, écrit des petits mots pour manifester ses encouragements, son émotion.

Dernier projet en date, la création au Théâtre de Charleville-Mézières de "Dedicated to You, variations sur la musique de Robert Wyatt", par une troupe familière de son univers. Le bassiste et chanteur John Greaves, cofondateur de Henry Cow, groupe de la même famille que Soft Machine et Matching Mole, où Wyatt chantait et pouvait encore jouer de la batterie. Karen Mantler, organiste, fille de Carla Bley et Michael Mantler, a récemment composé pour Wyatt, et son père sollicite régulièrement le chanteur dans ses enregistrements.

Le batteur Jacques Mahieux revendique une filiation avec le jeu de Wyatt comme avec son chant. Le clarinettiste Sylvain Kassap et la contrebassiste Hélène Labarrière ont, eux, été invités par Wyatt au Meltdown Festival, en 2001, lorsqu'il en a eu la direction artistique. Enfin, le violoniste Dominique Pifarély complète l'ensemble. Le programme devrait être constitué de thèmes allant de ses débuts avec Soft Machine jusqu'à des compositions de l'album Shleep, paru en 1997.

Quasi absent des scènes depuis 1973, Robert Wyatt continue d'enregistrer.

UNE VOIX TOUJOURS PRENANTE

La fin de l'automne 2003 est favorable à Robert Wyatt avec, en plus de cette création, trois parutions concomitantes. D'abord M4W, quatrième volume de la collaboration avec le peintre Jean-Michel Marchetti, qui traduit en français les textes de Wyatt accompagnés de gravures originales. Comme dans le précédent volume édité par Aencrages & Co, Wyatt a proposé des inédits (quatre instrumentaux et deux chansons), dont certains interprétés avec Marchetti.

Chez Cuneiform, ce sont des archives qui viennent au jour. Deux séries de concerts pour la BBC en septembre 1972 (avec sa future épouse, Alfreda Benge, et le pianiste Francis Monkman) et en 1974 (en solo), la musique collage d'un court métrage de 1973, des retrouvailles avec le bassiste Hugh Hopper (ancien de Soft Machine) et The Verb,enregistré en 2003 par Wyatt chez lui.

Enfin, le récent album du chanteur et pianiste, Cuckooland, vient de paraître chez Hannibal-Ryko. Un disque d'où s'échappe toujours la voix singulière de Wyatt, l'une des plus prenantes issues du courant rock progressif britannique de la fin des années 1960 et du début 1970 avec celles de Kevin Ayers (Soft Machine, The Whole World), Peter Gabriel (Genesis), Greaves, Peter Hammill (Van Der Graaf Generator) et Pye Hasting (Caravan). Un disque tout en climats étranges, mélodies enfantines, au minimalisme touchant, marque de Wyatt depuis plus de trente ans.

Sylvain Siclier

Photo : Renaud Monfourny


"Dedicated to You", création au Théâtre de Charleville-Mézières, place du Théâtre, Charleville-Mézières (Ardennes). Tél. : 03-24-32-44-50. Samedi 8 novembre, à 20 h 30. De 7,90 € à 18 €.

M4W, 1 livre-CD, Aencrages & Co, 35 € , à commander au 5, place du Vieux-Gérardmer, 88400 Gérardmer, ou sur le site Internet www.aencrages.com ;

Solar Flares Burn For You, 1 CD Cuneiform Records/Orkhêstra International ; Cuckooland, 1 CD Hannibal-Ryko/Naïve.