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 Soft Machine à Paris... - Extra - N° 13 - décembre 1971






Quoi qu'on veuille penser, il n'y a pas si longtemps que le « Monstre Public » manifeste son attention à la musique de Soft Machine. Cela va bientôt faire six ans que le Soft ont été oubliés dans le pays-même qui les a vu naître, ceci tout simplement parce que quelques personnes ont tout bonnement cessé de les écouter, parce que les journalistes ne se sont plus rendus à leurs concerts, parce que la plupart des maisons de disques ont préféré sortir des disques de crétins. Tous ces judas auraient pu dormir encore longtemps si un beau jour, S.M. n'avait pas fait l'affiche de la célèbre chapelle du jazz qu'est le Ronnie Scott's Club.

Il doit y avoir douze ans de cela, l'Angleterre entendait pour la première fois les balbutiements de ce qui allait devenir la machine molle. C'était à Canterbury, du côté de 1959. Pour passer le temps, deux étudiants adaptaient, à leur manière, des sonates de Milhaud et de Bartok, sans se priver pour autant d'écouter des musiciens tels que Cecil Taylor, Ornette Coleman et John Coltrane. Ces deux étudiants s'appelaient Mike Ratledge et Brian Hopper. Les qualités du premier s'exerçaient sur un clavier de piano, celles du second s'épanouissaient entre le bois de la clarinette et le cuivre du saxophone ténor. Très vite, le duo mua en quartet et accueillit en son sein deux autres musiciens : Hugh Hopper (basse) et Robert Wyatt (drums). Deux ans plus tard, en 1961, le quartet perdit Brian Hopper mais gagna, avec l'arrivée de son remplaçant, son premier nom : Daevid Allen Quartet. Expérience éphémère puisque le groupe, nouvellement constitué, ne tarda pas à éclater. Majorque vit donc le retour de Mr Allen, Oxford celui de Mike alors que, loin de se décourager, Hugh et Robert formèrent avec Kevin Ayers et Brian Hopper les Wild Flowers. Enfin, en 1966, ce fut la réunion Allen - Ayers - Ratledge - Wyatt, auxquels vint s'adjoindre un guitariste américain : Larry Knowlin ; Hugh a disparu. Le groupe prit d'abord le nom de Mr Head, puis, en s'inspirant de W. Burroughs, celui de Soft Machine.

Au départ de Larry Knowlin, dont les idées, quant à la ligne musicale à suivre, ne s'accordaient pas à celle des quatre autres, Daevid devint guitariste, laissant à Kevin le soin d'assumer le rôle de bassiste ; Robert chantait, Mike venait d'acheter son premier orgue et personne n'avait de nouvelles de Hugh. En dépit de leur tendance à user d'effets, alors qualifiés de « peu orthodoxes », et leur refus prétentieux de percer à travers la masse, la musique de la machine molle ne cessa de se teindre d'un environnement plus brutal, toujours plus excitant. De plus, et ce bien avant beaucoup, dirigés par Mark Boyle, les effets de lumière destinés à intensifier l'assaut véritablement physique de leur musique, dont le groupe se fit le premier utilisateur, ne manquèrent pas, et de surprendre le spectateur et de conditionner l'auditeur.

En avril 1967, avec « Love makes sweet music - Feelin' reelin' and squealin' Ayers», échoua la première tentative d'accession au hit-parade. Trois mois plus tard, alors qu'éclatait aux U.S.A. le mouvement Flower Power, le groupe se retrouva en France, sur la côte d'Azur, pour l'inauguration d'une discothèque. A cette inauguration succéda l'accompagnement d'une pièce de Pablo Picasso (le Désir attrapé par la queue), lors du festival libre de Saint-Tropez. Monté à Paris, S.M. participera, au studio des Champs-Elysées à «Sainte-Geneviève sur le tobogan», spectacle situé à mi-chemin entre Dada et l'avant-garde. Au retour en Angleterre, Daevid se vit refoulé et S.M. devint un trio que Paris ne devait pas tarder à revoir dans l'accompagnement d'Ubu Roi à la biennale, puis en novembre au Palais des Sports pour « La fenêtre rose ».




En 1968, Mike Jeffries, manager des Animals et de Jimi Hendrix, proposa au groupe d'accompagner ce dernier dans sa tournée américaine. Très vite, l'entreprise dégénéra en une sorte de marathon où il fallait jouer nuit après nuit et rouler toute la journée ; les Soft ne dormaient pas plus qu'ils ne répétaient. La tournée n'eut pas, pour eux, le succès qu'ils étaient en droit d'espérer. Désireux de toucher un public plus large, le groupe réintégra pour un temps les studios d'enregistrement et sortit leur premier 30 cm qui, s'il se vendit bien aux U.S.A. et sur le continent, n'eut même pas la chance de sortir outre-Manche ; il fallut attendre que Probe label (E.M.I.) en accepte la distribution pour le voir enfin apparaître dans les rayons des disquaires de l'île. Mieux arrangé (remplacement de Kevin Ayers par Hugh Hopper après le retour des Etats-Unis), le second LP donnera de S.M. une image plus sophistiquée. «C'était très agréable pour moi de jouet du free, mais la nécessité d'écrire pour composer l'était nettement moins» (Kevin Ayers). Ce second LP, à l'opposé du premier, qui restituait essentiellement l'intensité de la scène, présentait un Robert Wyatt moins mis en évidence, ayant quelque peu rompu avec le chant, un Mike Ratledge sorti des solos de trente secondes, et surtout une basse beaucoup plus construite : celle de Hugh Hopper. Malgré la permanence d'une certaine préciosité, l'auditoire s'élargissait.

Avides dans la recherche, les Soft laissèrent ensuite leur musique se grossir de cuivres. Tentative plus ou moins appréciée (concert de la Mutualité, décembre 1969), mais loin de ne pas se trouver enrichie si l'on en juge par «Third », troisième et double album. Quatre morceaux seulement ; deux de Ratledge «Slightly all the time» et «Out bloody rageous», un de Hopper « Facelift », enregistré en public, et un de Wyatt «Moon in June ». La sobriété était de la partie. De « Facelift', qu'introduit un étonnant solo d'orgue de Mike, rejoint par le soprano de Lynn Dobson à « Out bloody rageous », de changement de temps en changement de temps, la machine bouscule et écrase plus qu'elle ne s'est jamais permis de le faire. Parfois un peu submergeants, les cuivres répètent le thème tandis que les soli de Mike introduisent le tempo suivant. Avec les cuivres, et en leur permettant une grande liberté d'expression, S.M. et par là, la pop musique croisaient le jazz en élargissant son éventail. De ces cuivres (Nick Evans, trombonne, Lynn Dobson, flûte-soprano, Mark Charig, flügelhorn et Elton Dean, alto-saxello, seul Elton subsistera en tant que membre à part entière du groupe. Connu pour avoir « sévi » au sein des Hoochie Coochie Men de Long John Baldry avec Rod Stewart et un pianiste, plus connu aujourd'hui sous le nom d'Elton John, c'est Elton Dean, qui, après le départ de Robert Wyatt, amena aux trois «anciens» le nouveau batteur Phil Howard. Beaucoup de changements au cœur de la machine... et pourtant elle tourne.

Bruno Ducourant

       
     
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