Alors, ces pieds ? Vous les mettez dans le plat ou vous attendez qu'on vous les pane ? Comment ? Vous ne voyez pas le rapport? Vous vous prenez pour Jean-Jacques de Bresson ! Allons, depuis le temps que ça traîne, ça aurait fini par se savoir : Soft Machine est mort(e?), vive Matching Mole.
Plantons le décor : Robert Wyatt, pataphysicien distingué et ci-devant batteur quitte Soft Machine pour des raisons musicales. En fait, parce que deux notions disparaissent de la musique du groupe. D'abord, l'idée de chanson, ou pour être plus précis, de « song ». Ensuite l'idée d'électricité. Soft Machine n'était plus qu'un quartette de jazz anglais amplifié. Et pour ce qui est du jazz, Robert Wyatt en a entendu de meilleur. Enfin, tout ça, c'est moi qui le dis, mais ça doit être à peu près ça. Pourquoi Soft Machine gâche-t-il (elle) sa position unique de seul groupe authentique de rock (sans référence au R'n'R, au R'n'B, au C&W, au tango chaloupé ou au chant grégorien), allez donc le savoir, bande de bons à rien. C'est comme ça. A titre de représailles, eh eh, Robert W. appelle son groupe Matching Mole, à cause de la traduction française de Soft Machine, Machine Molle.
Matching Mole, ça veut dire Taupe Appareillée. Ça sert à ça, la Pataphysique, comme disait Bosse de Nage. Autre jeu sur les mots, le titre d'un des morceaux dudit que dont je vous parle en ce moment, l'air de rien, « Dedicated to Hugh, but you weren't listening ». Tout le monde connaît un morceau des Soft intitulé « Dedicated to you, but you weren't listening » (ça t'était dédié, mais tu n'écoutais pas). Le Hugh en question, c'est Hugh Hopper, bassiste des Soft. Ça se prononce pareil, en anglais, « you » et « Hugh ». Comme ils s'aiment. Je vous raconte pas ça pour faire passer le temps ; c'est parce qu'avec ces gens-là, la musique, la vie, les petites pépées, les grandes engueulades et le riz complet, ce sont des choses qu'on traite sérieusement, même en déconnant. Et si vous commencez à vous demander si tout ceci n'est qu'une lâche tentative publicitaire pour vous faire avaler un truc invendable, eh bien tant pis. Quand on aime vraiment une musique, on ne sait jamais par quel bout la prendre, surtout par écrit. Je trouve ça tellement beau, tout bêtement, que j'en ai ma sentimentalité qui m'en dégouline dans les bottes. J'aimerais, certes, que le tout soit un petit peu plus « commercial », un peu moins - privé », pour que le dernier des crétins aime ça tout de suite, sans explications, selon la vertu cardinale du rock. Ça sera pour le prochain. Sachez seulement, braves gens, que Matching Mole est composé de Phil Miller de Delivery à la guitare, de Bill MacCormac de Quiet Sun à la guitare-basse, et que l'organiste Dave Sinclair qui joue dans le disque, ex-Caravan, a déjà cédé sa place à Dave McRae, de Nucleus, groupe qui a également donné son tout nouveau batteur à Soft Machine. Parait que ce premier disque s'est réalisé dans des conditions difficiles. Ça ne s'entend pas (CBS anglais 638SO). Ah oui, R.W. joue du piano, du mellotron, quand même de la batterie, et chante.
Et les Soft, alors? Ce n'est pas de la merde, ma bonne dame, ce n'est seulement plus ce que c'était, que le batteur soit Phil Howard ou John Marshall. On ne peut pas être et avoir été, les carottes sont cuites, tant qu'y en a verse encore, passe-moi la daurade, je te passe le petit salé, et le reste.
(Soft Machine, 5, CBS anglais 64806).
Publicité : Matching Mole en première partie (!) de John Mayall, le 15 mai, à l'Olympia.
Faustrol
P.S. : la couverture de Matching Mole est blanche, celle de Machine Molle toute noire.