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Douce
machine - Rock & Folk - N° 29 - juin 1969
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DOUCE MACHINE
Paradoxe, la popularité des Soft Machine en France
a largement dépassé le petit noyau d'amateurs
qui constitue leur seule audience. Et il n'est pas rare
d'entendre certaines personnes qui se veulent "hips"
parler avec des trémolos dans la voix d'un groupe
qu'elles n'ont jamais entendu... Ne leur en veuillons pas
trop: sans aucun disque, aucun concert et, bien entendu
aucun passage sur les antennes, les Soft Machine auraient
eu bien de la peine à devenir un groupe populaire.
Si l'on ajoute que leur musique n'est pas spécialement
destinée au grand public, on voit que la cause est
difficile à défendre au pays de Sheila et
de Claude François.
La Soft Machine a une longue histoire. Sa genèse
remonte à 1959 et à la ville de Canterbury
où quatre musiciens se réunirent pour la première
fois: Hugh Hopper (basse), Brian Hopper (clarinette, ténor),
Mike Ratledge (piano) et Robert Wyatt (batterie). Brian
et Mike avaient derrière eux neuf années de
musique classique. Robert quelques-unes de leçons
avec George Neidorff, batteur américain. Tous très
influencés par le jazz, ils admiraient Cecil Taylor
pour son attaque et la liberté de ses harmonies,
Ornette Coleman et John Coltrane pour l'utilisation qu'ils
faisaient de leurs sections rythmiques. Toutefois, Brian
et Mike continuaient à jouer de la musique classique,
par exemple des sonates de violon de Milhaud ou Bartok arrangées
pour clarinette !
1961. David Allen, guitariste et poète australien
se joint au groupe qui devient le "David Allen Quartet"
(Allen, Hopper, Ratledge, Wyatt) qui se produit à
Londresainsi qu'au Live New Departures Concert. La musique
que jouait alors le groupe avait les mêmes structures
qu'à présent, quoique plus orientée
vers le jazz. Le public y restant tout à fait indifférent.
Le groupe éclate. David retourne à Majorque,
Mike à Oxford, Hugh et Robert, de retour à
Canterbury, forment les "Wild Flowers" avec Kevin
Ayers et Brian Hopper et jouent des morceaux originaux mais
inspirés de la musique des Beatles !
1966. Date importante dans cette histoire décousue
dont le seul fil conducteur est la musique et la recherche
de l'expression libre et nouvelle. Majorque. David et Kevin
se retrouvent, s'envolent pour l'Angleterre, sont rejoints
par un guitariste américain , Larry Knowlin, puis
par Robert et Mike qui venait de terminer ses études
de psychologie et de philosophie à Oxford. Le groupe
s'appelle d'abord "Mr Head", puis, avec l'approbation
de William Burroughs, "The Soft Machine" (la Machine
Molle). Comme l'a si bien souligné Jean-Jacques Lebel
dans son introduction à l'oeuvre de Burroughs ("La
poésie de la Beat generation"): "La Machine
Molle fonctionne en effet sur le modèle du monde,
c'est un engin à casser le noyau des atomes, à
dé-structurer et à re-bâtir".
Larry ayant quitté le groupe pour cause de non-entente musicale,
David Allen devient soliste et Kevin prend la basse. Robert
se met à chanter et Mike s'achète un orgue. Intensifiant
leurs recherches musicales, ils en viennent à employer sur
scène des bandes pré-enregistrées mais doivent abandonner
ce système, faute de moyens techniques suffisants. La Soft
Machine inaugure l'UNEFO en compagnie de l'autre grand groupe
underground anglais, le Pink Floyd. Un light-man est bientôt
adjoint à la formation en permanence: Mark Boyle, qui fit
d'importantes découvertes en matière de light-show et fut
le premier éclairagiste à faire partie intégrante d'un groupe.
1967. La Soft Machine vient inaugurer une discothèque
sur la Côte d'Azur. Licenciée peu après,
elle erre quelque temps à St-Tropez avant d'être
engagée par J.-J. Lebel et Alian Zion pour passer
en seconde partie du "Festival Libre", au cours
duquel elle accompagne la pièce de Pablo Picasso,
"Le désir attrapé par la queue".
David Allen, immigrant ayant travaillé illégalement,
ne peut retourner en Angleterre (pour les Bee-Gees, ça
s'est facilement arrangé) et le groupe devient un
trio qui se produit au Festival d'Edimbourg et assure la
partie musicale d'Ubu Cocu à la Biennale de Paris.
En novembre, le groupe participe à la "Fenêtre
rose" au Palais des Sports, et ce fut pour le public
français la découverte de la véritable
musique psychédélique. La Machine Molle s'envole
ensuite pour les USA avec la tournée Jimi Hendrix
et en profite pour enregistrer un LP pour ABC (qui vient
de sortir en France).
Le seul disque enregistré jusqu'alors par le groupe était
un 45 t "Love makes sweet music"/"Feelin'reelin' & squeelin'
Ayers", sorti chez Polydor mais introuvable.
Depuis son retour des States, la Machine Molle a été reformée:
Hugh Hopper a remplacé Kevin Ayers à la basse et à la guitare.
Jusqu'alors, Hugh ne se "sentait pas en condition" pour
jouer, mais, Kevin ayant décidé de se consacrer à la composition,
Hugh a repris le flambeau et s'est mis, à son tour, à composer
pour le groupe. Ayant ainsi fait peau neuve, la Machine
a sensiblement changé sa façon d'interpréter
les morceaux. Si le son est toujours le même, aussi
sauvage et libre qu'auparavant, l'attention des musiciens
se porte désormais sur des enchaînements de
petits thèmes musicaux plutôt que sur de longues
improvisations sur un thème donné. Cette nouvelle
manière est finalement un moyen de structurer l'improvisation,
expression de différentes attitudes face à
la même idée. Pour illustrer cette nouvelle
formule, la Machine Molle a enregistré, courant mars,
un second LP à Londres. Mike a bien voulu me donner,
au téléphone, quelques précisions sur
la nouvelle musique du groupe: "Le son reste le même,
mais la musique va plus loin,, elle est en quelque sorte
plus sophistiquée. Il y a plus d'arrangements, plus
de préparation et plus de notes aussi. C'est la même
idée qu'auparavant, mais plus contrôlée..."
Une nouvelle jeunesse, donc, pour la Soft Machine qui intensifie
ses passages sur scène. Il est certain que le public
français aura bientôt l'occasion de la voir
, cette Machine Molle, "plus belle qu'une poubelle",
selon Kevin Ayers. Il existe quelque part une Machine merveilleuse,
une Machine à oublier le temps.
JOCELYNE BOURSIER.
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