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Une extension de la pop - Politis - N° 768 - du 25 septembre au 1er octobre 2003
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Plusieurs chansons de « Cuckooland » abordent des sujets
politiques, ce qui était déjà le cas de vos disques des
années 1980. Pourquoi cette constante ?
Robert Wyatt : C’est ma femme,Alfie, qui m’a amené à la politique. Elle était beaucoup plus impliquée que moi, elle avait lu des livres que je n’avais pas lus. Aujourd’hui,
ces sujets font partie de mon monde. Pour être honnête, je ne crois pas que les artistes puissent changer quoi que ce soit mais, quand on est conscient de certains problèmes et que l’on écrit des textes, le sujet vient naturellement. Les chansons de cet album ont été écrites au moment où le gouvernement anglais cherchait des prétextes pour bombarder l’Irak. Alfie avait ce fait à l’esprit quand elle a écrit le texte de « Lullaby for Hamsa ». On vit dans le monde, pas dans un jardin de roses.
Ne trouvez-vous pas qu’il y a eu peu de réactions contre la guerre en Irak de la part de la scène musicale ?
Le problème n’est pas que les musiciens ne prennent pas suffisamment les sujets politiques au sérieux, mais que les politiciens ne prennent pas assez ces sujets au sérieux ! En Angleterre, la politique est devenue une sorte de soap-opera comparable au show-business, une bataille de personnalités, un jeu permanent avec les médias. Il faut beaucoup chercher
pour comprendre ce qui se passe réellement en Irak. Il n’y a pas que les musiciens
qui devraient débattre de cela, tout le monde devrait le faire.
Mais tout le monde n’a pas accès facilement aux informations qui permettent de se faire une opinion...
Il faut chercher cette information. Nous n’avons pas Berlusconi mais nous avons Murdoch, qui contrôle une grande partie des médias. Ses prises de position ont une grande influence sur le gouvernement et sur les électeurs. C’est un contrôle des esprits déprimant. Mais je n’attends pas des musiciens qu’ils mènent les armées de la révolution. Tout ce qu’ils veulent, c’est parvenir à faire des disques. Moi-même, je préférerais que les professionnels se chargent de politique, je pourrais alors ne pas y penser et simplement m’amuser. Et puis, être rebelle n’est pas dans ma nature, je préfère plus de confort. Cependant, je me sens de moins en moins à l’aise quand je considère les événements qui se déroulent en Irak. Je ne peux supporter l’hypocrisie des grandes puissances. Autant dire simplement : nous avons aujourd’hui la possibilité de contrôler les ressources d’énergie pour les cinq cents années à venir et personne ne peut nous en empêcher. Même Kissinger était plus honnête, quand il disait qu’il ne fallait pas confondre la politique étrangère américaine avec un travail de missionnaire.
Est-il difficile de conjuguer ces deux engagements : musical et politique ?
Oui, et je pense que ma responsabilité c’est d’essayer de composer la musique qui sonne le
mieux possible. C’est très difficile de faire une musique qui se justifie, au milieu de l’océan de musique existant. Mais si je voulais vraiment être utile, je quitterais le monde de la musique. Pour m’engager dans le développement d’un contrôle démocratique de l’eau, par exemple.
Vous considérez-vous comme un « protest-singer » ?
Non, j’essaie seulement de trouver un élément humain, quelque chose à quoi je puisse m’identifier chez les personnes qu’on me désigne comme des ennemis. Mon travail est de défendre le droit des peuples à leur dignité. Ce n’est pas seulement une question de morale. Cette idée d’un Tony Blair présenté comme un gentil petit garçon face à des mauvais garçons insulte mon sentiment d’être citoyen du monde. Je veux clamer que je ne m’associe pas à ce discours.
C’est la position d’une association américaine comme Not in my Name.
Exactement : je ne peux pas vous empêcher de faire ce que vous faites,mais ne venez pas prétendre que vous
le faites pour moi ni en mon nom. Si je proteste, c’est essentiellement pour dire cela.
Quelle était l’idée derrière « Blues in Bob Minor » sur le disque précédent (dans lequel Robert Wyatt chante à la manière de Dylan, NDLR) ?
C’était un hommage de Bob le Mineur à Bob le Majeur ! J’aime beaucoup les jeux de mots, les différentes
significations, les mots-valises, comme vous dites en français. Dans un monde parfait, je passerais
mon temps à jouer avec les mots. On peut dire beaucoup de choses avec des jeux de mots très simples.
Comment quelqu’un comme vous, venant de l’avant-garde, a-t-il commencé à chanter des mélodies pop ?
J’ai toujours considéré la musique pop comme une sorte de musique folk industrielle avec d’autres moyens de contrôle et de distribution. Quand j’avais 11-12 ans, je voulais être là où étaient les filles mais
je ne savais pas comment leur parler ! Alors, j’allais dans les cafés où il y avait un juke-box, je mettais un
disque, je m’asseyais à une table et j’observais ces « choses » magiques appelées filles... Pour moi, la
musique pop n’a rien de léger ou de trivial, je pense que c’est la chose la plus sérieuse du monde. Ou
presque. Je l’ai toujours défendue. D’ailleurs, c’est la base de mes chansons. Je ne suis pas un compositeur
classique ni un musicien de jazz. Je n’en ai ni le savoir académique ni la technique. Ce que je fais
n’est qu’une extension de la pop.
Où placez-vous la voix parmi les autres instruments ?
La question de la voix est frustrante car, pour moi, c’est juste un autre instrument. Mais, au milieu des
instruments, une voix s’entend toujours différemment parce que tout le monde utilise sa voix dans la vie courante, pas seulement comme une décoration, mais de manière fonctionnelle. Le son de la voix est donc une
responsabilité particulière que j’assume. Même chose pour les mots. Souvent, Alfie trouve que je suis paresseux
avec les vocaux, que je me contente de les poser là. Elle m’oblige à retravailler pour chanter mieux ! Si
je faisais un disque tout seul, les vocaux feraient simplement partie du désordre.
Vous avez dit un jour que si vous étiez musicien c’était pour faire une musique que vous vouliez écouter et que personne ne faisait. Est-ce toujours le cas ?
Absolument. Il y a énormément de musique que j’aime que je suis incapable de jouer. Mais il y a de la musique
que personne d’autre que moi ne fera. Je ne me sens pas meilleur ou pire que les autres, c’est juste la musique
que je dois faire.
Comment aviez-vous conçu ce disque au départ ?
Il n’y a jamais de conception particulière. Je me contente de rassembler ce que j’ai composé et enregistré chez moi, tout ce que j’aime bien, en dehors de tout contexte. C’est seulement en studio, quand j’ai presque terminé,
que je peux y voir une cohérence et enlever les parties qui ne s’y intègrent pas. À ce moment-là, j’agis un peu
comme un peintre, je rajoute ceci, je déplace cela...
Vous avez d’ailleurs été très influencé par la peinture.
J’ai besoin d’approcher les choses de manière visuelle avant de les entendre. Tout est une question de couleurs
et de formes. Je suis influencé par des personnes comme Paul Klee. Quand je m’éloigne des structures
pop, je ne cherche pas particulièrement des formules issues du jazz, je pense plus à Miro ou Picasso. Les
artistes de la première moitié du XXe siècle ont développé un travail sur les textures, les formes, le mouvement. C’est ce qui m’aide à construire une chanson ou un disque.
Jacques Vincent
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