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Les futurs Beatles - Le Nouvel Observateur - 11 septembre
1967
LES BRUITS DE LA VILLE
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Les futurs
Beatles
"What do you want? What do you really want? Soft
machine... Soft machine..." Une tendre voix de femme
annonce à l'Electric Garden Club de Londres le
nouveau "pop group" anglais "The soft machine".
Il est en passe, dit-on, de détrôner les
Beatles. Du coup, on dit les "Soft" alors qu'il
faut dire la "soft machine" (titre d'une oeuvre
de William Burroughs qui sera bientôt traduite en
français). Ils sont quatre - que voici.
Daevid (avec un e, parce que ça fait plus moyen-âgeux)
Allen : guitare, poèmes publiés dans "The
Village Voice", le journal de Greenwich Village ;
rêve de musique électronique, surnoms : Daevid-of-the-moon,
Daevid Allen the alien (l'étranger) car il est
australien; le plus attirant des quatre : bérêt
écossais, veste bleue à col-fraise Henri
IV, allure de Lord.
Kevin Ayers, véhément, romantique ; guitare
; collier de grosses perles de bois jaune, acheté
aux Puces ; tunique verte de sultan ; poète lui
aussi.
Mike Ratledge : petites lunettes bleues ; grand chapeau
noir, veste de fourrure blanche ; joue de l'orgue avec
générosité, diplômé
d'Oxford ; étude de philosophie et de littérature
: pianiste classique et de jazz ; joue Stockhausen, Erik
Satie et Cecil Taylor.
Robert Wyatt : batteur ; jabot de dentelle ; tunique
de cuir ; doux et doué ; peintre.
La première fois que je les ai entendus, c'était
à Saint-Tropez où ils passaient en première
partie du spectacle Picasso que présentait Jean-Jacques
Lebel. Une musique violente, poétique, pleine d'humour,
de "banana humour" selon eux, car, disent-ils,
"connaissez-vous un fruit plus absurde que la banane
?". Ils ont tous les culots : par exemple, ils jouent
pendant vingt minutes les cinq mêmes notes en chantant
imperturbablement "I did it again" (j'ai recommencé).
C'est drôle, mais c'est aussi très beau.
Comme sont belles leurs chansons (ils en ont composé
une centaine) sur les filles qu'ils ont eues, sur celles
qu'ils n'ont pas eues, sur l'angoisse, sur l'amour, sur
les lacs noirs ou les lacs blancs de leur vie. Ils improvisent
constamment, ils changent brusquement de rythme, ils râlent,
sifflent, hurlent, chuintent : tout leur est bon.
Aujourd'hui, pour les "Soft", c'est la gloire
naissante. Ils ont joué au "Star Club"
de Hambourg - où ont débuté les Beatles.
Radio-Caroline passe régulièrement leurs
disques. Ils ont fait des tournées dans toute l'Angleterre.
Ils ont participé au "Technicolor dream",
folle soirée qui eut lieu à l'Alexandra
Palace de Londres, un soir de pleine lune, en mai dernier.
C'est là que naquit le mouvement des "beautiful
people" (célébré par les Beatles
dans leur dernière chanson), ces garçons
et ces fille vêtus d'habits orientaux et chargés
de bijoux , qui distribuent des fleurs aux passants en
leur disant : "Aimez-vous." Ils ont joué
à la nuit psychédélique de Saint-Tropez
et à Gassin, sous le chapiteau du "Désir"
de Picasso. Ils se sont produits ces jours-ci au Festival
d'Edimbourg et viendront peut-être en octobre à
Paris pour la Biennale.
Yvette Romi |