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 La belle tristesse de Wyatt - Le Vif / L'Express - Mars 1999


'approche le bonheur lorsque je me sens libre de me perdre dans mon propre environnement. C'est comme prendre un bain chaud où la température du corps se confond avec celle de l'eau autour de soi. Je me sens à l'opposé de ces artistes prônant l'individualisme et qui, d'une certaine façon, s'opposent au monde : pour moi, c'est le cauchemar ultime ». Dans ces bribes de biographie en libre-service sur le Net (1), Robert Wyatt cerne ainsi son comportement : une démarche où l'introspection sert de lien avec le monde. Le vecteur des pensées de cet Anglais né à Bristol en 1945 est donc sa musique, héritière unique du jazz moderne, de l'expérimentation psychédélique des sixties et d'un goût prononcé pour la mélodie.

En 1968, lors de la parution du premier album de Soft Machine, on remarque d'emblée le batteur-vocaliste du trio : un multi-instrumentiste de 23 ans. Capable de chanter note pour note le solo de Charlie Parker sur Donna Lee ou d'enchaîner avec un maximum de soul une collection de tubes de James Brown. C'est Wyatt, bien sûr, fou de musique noire et de fusion sonore. Après cinq ans de Soft Machine, Wyatt fonde Matching Mole, autre formation anglaise « progressiste ». C'est déjà sa voix qui exprime au mieux son talent : un organe crayeux, friable, extraordinairement mélancolique et suggestif. Qui brasse les histoires fantomatiques aussi bien que les récits épiques, proches de la chronique engagée. Cette voix est toujours la force motrice du tout nouveau EP's (2), collection de cinq (mini) CD rassemblant dix-neuf pièces musicales signées Wyatt, de 1974 à nos jours. Emballé façon art brut dans les peintures de la compagne de Wyatt, Alfreda Benge, ce coffret aux illustrations enfantines resitue l'importance musicale du musicien ermite.



De Costello à Gabriel

Lors d'une soirée trop arrosée en juin 1973, Robert Wyatt fait une chute de quatre étages et se brise la colonne vertébrale. Il est condamné à la chaise roulante. Sa vie bascule, en même temps que sa musique. EP's témoigne d'une longue période loin des folles scènes récréatives des années 60.




Le premier des EP's s'ouvre pourtant comme un clin d'œil à celles-ci avec une reprise de l'm a Believer, tube de Neil Diamond. Ce sera pour Wyatt son seul véritable succès en single, avec une apparition en chaise roulante au célébrissime Top of the Pops britannique. Les autres morceaux de cet EP 1, tous datés de 1974, culminent dans la mélancolie de Memories et d'une chanson live au Drury Lane de Londres : quelque part entre Peter Hammill et le chant des sirènes, Wyatt monte sa voix dans les aigus avec une considérable charge émotive.

L'EP 2 contient le fabuleux Shipbuilding (écrit par Costello et Clive Langer) et d'autres titres aussi intenses tels qu'une refonte admirable de Thelonious Monk.


 


Sur l'EP 3, Wyatt combine son goût de la musique latine avec des arrangements électroniques « primitifs ». Sa version d'un classique du Chilien Victor Jara et son protest-song contre l'invasion américaine de la Grenade (Amber and the Amberines) témoignent de son engagement politique et de l'originalité viscérale de son univers. Ainsi, la reprise dépouillée du Biko de Peter Gabriel transforme le crime raconté (celui d'un militant noir en Afrique du Sud) en récit épuré simplement bouleversant. Seul l'EP 4 freine notre enthousiasme puisque cette longue pièce de 20 minutes, écrite en 1982 pour un film, manque clairement de support visuel. Ce qu'on oublie bien vite avec le volume 5 : quatre remixes de l'album Shleep, sorti en 1997. Quatre songes drum'n'bass où Brian Eno, Philip Catherine et Paul Weller, entre autres, plongent avec délice dans la musique terriblement humaine de Robert Wyatt.

Philippe Cornet


(1) www.rykodisc.com/Ryko-Internal/Limited/wyatt/ title.htm

(2) EP pour Extended-Play, nom donné aux 45-tours comportant plus de deux chansons, très en vogue dans les années 50/60 EPs, distribué par Munich Records.



     
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