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 Robert Wyatt - un paroissien sans chapelle - Le Maine Libre - 18 décembre 1997


ROBERT WYATT
UN PAROISSIEN SANS CHAPELLE






Tel le Nils de Selma Lager-lof, Robert Wyatt fend les airs, endormi sur le dos d'un pigeon. La pochette de «Shleep» illustre à la perfection l'univers onirique de l'artiste britannique. Cloué sur une chaise roulante depuis plus de vingt ans, celui-ci vient de produire le plus beau disque de 1997. Nous l'avons rencontré chez lui, dans une petite ville côtière du nord de l'Angleterre.

Robert Wyatt n'est pas un artiste prolifique : cinq années se sont écoulées entre « Dondestan » et « Shleep ».

« Le temps ne veut pas dire grand chose par ici... Les conditions d'enregistrement de « Shleep » ont été exceptionnelles. Phil Manzanera (le guitariste de Roxy Music), m'a laissé investir son studio et travailler à mon propre rythme. J'ai pu inviter tous les gens que je souhaitais voir jouer sur mon album. Ce qui n'est pas une mince affaire, considérant qu'ils évoluent dans des sphères musicales très différentes; Paul Weller, une vraie pop star que j'ai connu par le biais de Billy Bragg, Evan Parker, Brian Eno ou Philippe Catherine se sont plies aux exigences de mon calendrier. Sans parfois même se rencontrer ! ».

Toutes ces fortes personnalités ont été fédérées autour des chansons de Robert Wyatt, comptines et poésies au tempérament surréaliste, portées par une voix unique, celle-là même qui fit de « Caroline» le classique qu'il est aujourd'hui.


Europhile de père en fils

Après un passage remarqué comme batteur au sein de Soft Machine, pionnier du jazz-rock, Robert fonde sa propre.. Matching Mole «franglaise ».

«Je n'ai pas été élevé dans une ambiance typiquement anglaise : mes parents ont vécu en Espagne jusqu'à la fin des années 30. Ils avaient des amis en France et j'ai eu le privilège, à la fin des années 50, de passer trois mois dans une école primaire parisienne. J'y ai non seulement fait l'apprentissage de la langue, mais j'y ai découvert aussi le jazz en allant voir « Ascenseur pour l'échaffaud ». Ma culture est plus européenne qu'anglaise. J'aime beaucoup le flamenco et la chanson française. Murat par exemple».

C'est en Espagne que Robert perd l'usage de ses jambes. Il se consacre alors à une carrière solo marquée par la sortie de « Rock bottom », un classique au même titre que les «Astral weeks » de Van Morrison. Avec les années punk, un comble pour un amateur de jazz, il retrouve une seconde jeunesse et devient un des rares artistes de sa génération à bénéficier d'une crédibilité auprès du jeune public. Les années 80 seront ponctuées de collaborations avec des gens aussi divers qu'Elvis Costello et Ivor Cutler, des reprises de chansons traditionnelles sud-américaines ou d'un troublant «At last I am free » de Chic.


Compter les moutons

En intitulant son dernier disque « Shleep », Robert joue sur les mots : il associe le sommeil et les moutons que l'on compte pour s'aider à s'assoupir.




«J'aime les calembours et les plaisanteries en général. Les artistes ont une fonction de clown, une fonction qu'on ne doit pas forcément prendre au premier degré. On peut être drôle et dire des choses très graves. Les artistes médiévaux avaient cette fonction dans leur société, dans le Tiers-Monde contemporain, ils l'ont aussi. Les musiques traditionnelles ont des accents primitifs et une humanité universelle. Une humanité qui transcende tous les langages ».

La musique de Robert Wyatt vibre. Cette émotion qu'elle suscite est si viscérale qu'elle rend genres et catégories obsolètes. L'artiste, lui si méfiant des «athlètes de l'instrument», a un génie très particulier : celui de faire dire à ses partenaires ce qu'il veut entendre et faire entendre. En brûlant toutes les chapelles, Robert Wyatt fait une musique qui caresse la voûte céleste.

René GUYOMARC-H


« Shleep » est un disque Hannibal (distribution Harmonia-Mundi)

       
     
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