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France-Culture
- Le rythme et la raison, la douleur et la paix - Le Monde
- 1er mars 1992
LE RYTHME
ET LA RAISON, LA DOULEUR ET LA PAIX
Contrairement à
ce qu'il croit, Robert Wyatt gagne à être
connu. Voilà plus d'un quart de siècle,
depuis les débuts de Soft Machine en 1966, que
le musicien de Canterbury joue à cache-cache, avec
les médias et la célébrité,
bien sûr, mais aussi avec son public, avec ses collègues
musiciens.
Il vit aujourd'hui dans une semi-retraite, à Louth,
au nord-est de l'Angleterre. Lorsqu'on vient l'y trouver,
il manifeste étonnement et gratitude (à
ne pas confondre avec surprise feinte et mondanité)
que l'on en ait trouvé le temps et l'énergie.
Ensuite, il se livre, avec lucidité et acuité.
Robert Wyatt appartient à cette catégorie
de musiciens qui comprennent leur propre musique mieux
que personne. Et la netteté du regard qu'il porte
sur son univers rejaillit sur le reste du monde.Qu'il
explique ce qui l'a conduit à chanter de cette
voix haute, toujours au bord de la rupture, alors que
son registre naturel en ferait plutôt un baryton,
ou les raisons de son engagement politique, Robert Wyatt,
voix calme et léger zozotement (malheureusement
couverts par la traduction simultanée), exerce
la même attraction apaisante que lorsqu'il fait
de la musique.
Pour les journalistes de France-Culture, il est revenu
aux sources, à cette école de Canterbury
dont sont issus les groupes qu'il fallait appeler "
progressistes ", Soft Machine, bien sûr (nom
emprunté à Burroughs), Caravan, Gong et
autres bizarreries. On suivra ensuite Robert Wyatt avec
Matching Mole (Taupe coordonnée, Soft Machine se
traduisant en français par Machine molle), puis
en solo. Hémiplégique depuis 1973, à
la suite d'une chute, Wyatt a réalisé deux
disques parfaitement à part, Rock Bottom et Ruth
Is Stranger than Richard, deux moments sans équivalent
: savants et simples, déchirants et sereins.
Depuis, Wyatt n'a enregistré que par à-coups.
Dondestan (Rough Trade, distribution Virgin), son dernier
album, est sorti l'été passé après
un silence de cinq ans. Pendant les années 80,
Wyatt avait trouvé une espèce de moteur
auxiliaire dans le militantisme politique. Adhérent
au Parti communiste britannique au moment où celui-ci
éclatait, il a enregistré tout un album
" révolutionnaire " (Old Rotten Hat,
Rough Trade), mélangeant chansons cubaines et spirituals
internationalistes (Stalin Wasn't Stallin, créé
par le Golden Gate Quartet pendant la seconde guerre mondiale).
Aujourd'hui, il n'a en rien renié son rejet des
mécanismes du show-business, de la culture-marchandise,
mais son adhésion militante n'a pas survécu
aux bouleversements en Europe.
Wyatt s'est souvent expliqué du manque de confiance
en lui-même qui lui rend difficile le passage de
la porte d'un studio (le Monde du 19 septembre 1991),
il y revient ici, et, une fois encore, on se demande comment
cette somme d'incertitudes peut aboutir à une musique
aussi simplement parfaite.
Sotinel Thomas
Ecouter
l'émission "Le Rythme et la Raison"
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