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Robert
Wyatt - Improjazz - N° 1
- janvier 1994
ROBERT WYATT
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Personnage central d'un certain courant musical révolutionnaire à la fin des années 60, et figure marquante d'un militantisme engagé, enragé et mal vu d'une société britannique par ailleurs en lambeaux, Robert WYATT est un de ces musiciens qui force le respect mais qui sait aussi être très (trop) discret sur une scène quelque peu agitée. L'interview qui suit a été réalisée pour partie grâce à "L'International Robert Wyatt Contingent", dirigé par le charmant Terry VALDERAS, pour les questions sur Mole et sur la vie en général d'une part, par Chris ATTON et votre serviteur pour le reste d'autre part. Caroline, Go...
IMPROJAZZ: II nous semble que votre musique a toujours mélangé la "beauté" avec les "messages" (politiques et sociaux) en utilisant le véhicule de la musique pour communiquer un point de vue d'une manière beaucoup plus sophistiquée que par exemple, les chansons agit-prop "populaires" de Cornélius CARDEW. Est-ce que, d'une certaine manière, vous faites de la musique folklorique?
Robert WYATT: Oui, seulement par défaut, dans le fait que mes méthodes ne peuvent pas avoir l'autorité de la discipline du conservatoire, ni une adaptation à l'analyse des marchés. En d'autres termes, ma musique n'est ni classique, ni pop. Qu'y a-t-il d'autre? Si le blues est folk et flamenco, moi aussi, s'il vous plait. En ce qui concerne la relation entre la "beauté" et le "message", et bien le poète Laura JACKSON abandonna la poésie lorsqu'elle a atteint la conclusion que la poursuite de la beauté et de la vérité sont des disciplines inconciliables. Qui a la clé de l'échappatoire à ce dilemme? L'humoriste.
Il me semble que la traduction ne peut jamais être exacte, parce que, par exemple, si je parle de "meaning", le dictionnaire dit: "vouloir dire", = to mean. J'aime ce "vouloir dire". C'est un « composé compatissant; mais en anglais, "ce que quelque chose veut dire" n'est pas nécessairement "ce qu'elle signifie". Prenez par exemple des mots comme "Apartheid" ou "Swastika". Un autre terme français que j'aime bien est votre traduction de "It doesn't matter" (tout a de l'importance), mais précisément: "Cela ne fait rien". Mon lyrisme est pour le confort des âmes compatissantes, je ne suis pas un sergent recruteur pour la "Cause". Je définis simplement ma position comme n'importe quel autre artiste.
IMPROJAZZ; Pensez-vous que le point social ou politique de votre musique change? (Par exemple, la propagande de Gloria Gloom/Stalin wasn't stallin' vers les chansons politiques de Old Rotten Hat ou de Dondestan? En allant plus loin, comment cela peut se concilier avec la ligne pure et dure que vous adorez, vis à vis du Cuba de Castro?
RW: Fidèle à la tradition Avant-Garde (vous aimez ça? La tradition Avant-Garde?), je cherche la beauté là où les autres ne voient que laideur.
Donc, fidèle à cette tradition, je suis un réactionnaire: je réagis contre les suppositions
des différents établissements libéraux/conservateurs.
Irresponsable? Non, ça ne fait rien. Pourquoi fais-je cela? Pour obtenir une balance. Par exemple, les élites conservatrices/libérales sont déterminées à humilier- et à détruire quiconque défierait la relation Maitre/Serviteur entre...Oh...le Nord et le Sud... Cela rend mon cœur malade: et je le dis. Ça ne fait rien (en français dans le texte). Donc, il ne faut pas que cela vous inquiète !
IMPROJAZZ: Mais est-ce que votre position sociale et politique change?
RW: Je ne peux pas me souvenir d'une des chansons que j'ai écrites, reflétant une influence marxiste/léniniste, qui ne reflète plus mes inclinations. Le racisme camouflé du capitalisme international me révolte toujours. Je n'essaie jamais d'être subtil à ce propos! Au contraire, j'essaye d'éliminer le camouflage évasif de l'art décoratif. L'autopsie révélera les mots "sale communiste" sur ma colonne vertébrale. Bien sûr, ma colonne vertébrale a une cassure intéressante: je suis une machine cassée, une jolie métaphore pour ceux qui aiment un peu de symbolisme avec leur soupe.
La forme "d'art engagé" la plus acceptée est la prière. Les autres: l'hymne national et la danse rituelle pour les équipes de rugby/football. La prière chrétienne, avant de manger pour remercier Dieu de sa bonté. Les Indiens natifs de l'Amérique, par contraste, lorsqu'ils mangent un buffle, remercieraient plutôt le buffle, offriraient plutôt une prière à l'âme du buffle. Bien sûr, je préfère l'art de l'Amérique Native! Par extension, alors que les sionistes remercient Dieu pour Israël, je serais un peu plus impressionné s'ils remerciaient les Palestiniens. Si le colonialisme doit continuer à être la base de nos civilisations, nous pourrions au moins remercier les victimes appropriées, sinon les mots comme "repentir" ne sont que du verbiage, oui, encore du camouflage. Quand on en arrive à l'agit-prop, aucun d'entre nous ne peut concurrencer l'extrémisme dur des établissements religieux. Ils sont les maîtres du genre.
IMPROJAZZ : A propos de votre travail actuel, pensez-vous qu'il s'agisse d'une évolution normale, non-critiquable, ou avez-vous d'autres sentiments, en regardant un peu en arrière?
RW: Ah ah! Une question à propos de mon travail! Terrain plus sûr?! Non, cependant, je n'ai pas l'impression qu'il ait suivi "une évolution normale, non critiquable". Je me sens infirme non pas à cause de la paraplégie, mais à cause de mes propres insuffisances et limitations frustrantes, je vends mes chansons parce que j'ai besoin d'argent, sinon je n'en aurais pas le courage. Ce n'est pas une question d'évolution de luxe, c'est un problème plus simple que j'ai toujours, je ne sais même pas comment commencer. Je garde naturellement une reconnaissante surprise aux gens qui écoutent les résultats. Que puis-je dire? Merci.
IMPROJAZZ: Peux-tu nous parler de "Nantrue's Mole" et de MATCHING MOLE?
RW: "Nantrue's Hole" n'a rien à voir avec Nan True's Hole... C'est comme ça avec les chansons... avec ce genre d'auteurs de chansons subtiles.
C'est le nom d'une maison, que possède un de mes amis, dans le Sussex. Et j'imagine que
l'origine du nom vient du fait que cette maison était habitée par une femme avec des pouvoirs
spéciaux, qui s'appelait Nan TRUE, probablement une "fortune teller", une diseuse de bonne
aventure ... Une espèce de sorcière qui vivait dans cette maison. Je l'imaginais avec son regard de
peur, et son pouvoir dans le village anglais dans lequel elle vivait, complètement superstitieux. Mon ami avait hérité de cette maison, et j'ai pensé "Ce nom est trop bon pour simplement une maison". Phil MILLER était d'accord avec moi, et c'est devenu un morceau de musique.
Oui, je sais que j'ai dit que je ne pourrais plus parler de MATCHING MOLE… B. A . Before the accident. Avant l'accident. Parfois je peux, parfois non! Aujourd'hui, je ressens comme une vague d'affection pour nous-mêmes comme nous étions, même pour moi-même, il y a si longtemps, parce que cela semble comme pour quelqu'un d'autre. J'écoute ces bandes maintenant, et je pense "Go, go, go!!!" (en riant très fort). Je ne sais pas où, mais va quelque part... Tu le sais!".
MATCHING MOLE avait Phil MILLER à la guitare, qui aurait préféré jouer une note fausse plutôt, qu'une note déjà jouée par quelqu'un d'autre. J'admirais cet
esprit. Et il continue à travailler et composer dans des formes très rares et des atmosphères de connaissance musicale avancée... au-delà de ma
connaissance technique. Je suis heureux qu'il ait été avec nous lorsqu'il était... Vous savez... plus jeune, les premiers jours, enthousiaste!
Bill McCORMICK travaille maintenant pour le parti travailliste, je
pense. Il était le bassiste, quelqu'un de très inventif, et quel homme formidable! Il était comme ça, et l'est encore.
Les deux Dave... Dave SINCLAIR jouait de l'orgue Hammond, et les gens essayent encore de le persuader d'en jouer avec CARAVAN
(maintenant reformé et qui tourne pas mal en Angleterre). Il ne comprenait pas ça. Maintenant il
possède un magasin de claviers, et ne comprend toujours pas pourquoi les gens veulent qu'il
retourne à l'orgue Hammond! Mais nous qui avons été élevés avec Jimmy SMITH et BOOKER T., on n'en a jamais assez de ce son Hammond! J'aime ce son, et tous ceux qui le pratiquent savent ce que c'est.
Dave McRAE est peut-être le meilleur musicien avec qui j'ai travaillé. Il jouait des claviers
à cette époque, principalement du piano électrique. Il est retourné maintenant à ce que je pense être
un piano japonais, sur lequel on joue de la musique classique. Il est reparti aux antipodes... quelque chose à voir avec les pieds sur la partie opposée de la terre! L'Australie. Et il me manque! Non seulement à l'époque de MATCHING MOLE, mais aussi pendant la période qui a suivi, lorsque j'expérimentais après le deuxième LP de MM. Vous savez, j'ai travaillé dans diverses formations qui n'ont pas été enregistrées, avec Dave McRAE, dans des situations informelles... avec Gary WINDO au ténor, et parfois Ron MATHEWSON à la basse. Je pense que j'ai atteint une sorte de confiance organique à la batterie avec Dave, que j'avais atteint il y a très longtemps avant. Et ainsi était MATCHING MOLE! Il n'y a rien de spécialement romantique à venir à propos de Mole, sauf l'intérêt des autres gens, qui m'a fait avoir une autre écoute. Je ne suis plus embarrassé par la naïveté de ce groupe. Je suis heureux qu'il existe des bandes qui n'ont jamais été entendues, des radios, etc.
IMPROJAZZ: Gary WINDO est mort en juillet 92, Ollie HALSHALL en avril 93, Mongesi FEZA, Chris McGREGOR, Dudu PUKWANA... des gens que tu as côtoyés... Quels sont tes sentiments envers ces amis décédés?
RW : II est vrai que mes compagnons musicaux les plus compréhensifs ont déjà obtenu la paix parfaite. Je les envie, mais je me sens un peu perdu sans leur chaleur. Beaucoup de nos moments ensemble, les plus chanceux, ne sont pas encore disponibles publiquement, mais ils existent toujours sur quelques cassettes. Ces cassettes sont mes copains les fantômes: les cassettes avec Mongesi et Gary dans leur groupe SYMBIOSIS, cassettes de Gary WINDO, Dave McRAE et moi... Incidemment il y a d'autres moments heureux sur des cassettes privées avec des musiciens qui comme Dave McRAE, sont toujours, au moment où je parle, bien vivants. Par exemple, j'ai fait quelques "duos" avec le brillant joueur de claviers Francis MONKMAN. Et peut-être mon moment le plus fier fut lorsque le saxophoniste Evan PARKER contribua par un solo pour finir une chanson écrite avec le poète Paul HAINES "Curtsy". (De bons souvenirs après tout).
IMPROJAZZ: Que penses-tu de la vie?
RW: Je ne connais pas autre chose encore... Je n'ai rien pour comparer. C'est comme une course de chevaux. Je ne suis pas sûr que... Pas pour moi. Je dois encore trouver! (rires) Je pense que c'est étrange, réellement. Soit ce qui concerne la vie est biaisé, parce que les gens qui en parlent sont vivants. C'est très étrange car s'il n'y avait aucune vie, je ne l'aurais pas prédit. Je peux imaginer des planètes, des industries, de la poussière, du vent et des explosions. Il existe des parodies diverses de la vie, comme le feu, qui semblent voyager... Et qui veulent prendre les choses, les consommer. La vie est comme le dernier écho de ce qui a existé autrefois. Une sorte différente du feu. Je ne sais pas.
Robert parlerait des heures, et nous l'écouterions toujours passionnément. Mais l'œuvre la plus achevée concernant sa vie sort cette année, chez Chris CUTLER. "Wrong Movements" a été écrit par le canadien Mike KING, et c'est une vrai bible! Mike a travaillé en étroite collaboration avec Robert lui-même, et contrairement à certains écrits, WYATT est tout-à-fait d'accord sur l'entreprise. Un MUST!
Sinon, il est urgent de s'abonner à "Old Rottenhat's Journal", qui nous a aidé pour cet article: c/o Terry VALDERAS, 2021 S.E.TAYLOR Street, PORTLAND.OREGON 97214 USA. La souscription est de $5 pour trois lettres, mais peut-être plus pour l'Europe. N'hésitez pas à contacter Terry, déjà un fidèle d'IMPROJAZZ!
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