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 Soft Machine à Caen + Soft Machine et le reste...ou Soft Machine, le premier pas vers autre chose - Best - N° 22 - mai 1970





SOFT MACHINE A CAEN

Dans le cadre des concerts de pop music organisés''dans sa salle, la Comédie de Caen recevait le 13 mars dernier les Soft Machine. La salle était pleine mais tout le monde était assis car les responsables avaient eu l'intelligence de ne pas vendre plus de place que la salle ne pouvait contenir de spectateurs.

Dans un silence absolu et dans une légère pénombre, les quatre membres du Soft Machine: Hugh Hopper (basse), Mike Rattledge (orgue), Robert Wyatt (batterie) et Elton Dean (saxophone, flûte) prennent possession de la scène et de leurs instruments. Une lumière orange vient baigner la scène donnant une ambiance de douce quiétude... Soudain, la musique éclate ! Tout doucement les musiciens se cherchent puis se trouvent. La fête commence : musique impalpable qui dure longtemps, qui s'éloigne, qui revient, insaisissable...

Le premier morceau durera quarante minutes... et ce sera l'entracte, les applaudissements polis. Le contact est quand même long à s'établir. A leur retour, le style a évolué. Avec un ensemble parfait, admirable, ils communient enfin avec nous. Leur style est toujours très progressiste mais le « beat » est là, net, syncopé! palpable... C'est en même temps un régal et une démonstration : « Vous voyez, nous jouons une musique froide mais lorsque nous le voulons, nous pouvons vous satisfaire pleinement, au-delà même de vos espérances. Mais c'est vous qui êtes en retard, pas nous... ». Et la Machine repart dans l'espace vers son domaine : la musique cosmique.

Le message a été compris semble-t-il. Les spectateurs-auditeurs se sont habitués à leur « sound ». La Machine Molle bien huilée avance doucement mais sûrement à pas feutrés vers un but fuyant. Quand l'atteindront-ils ? Jamais ! La progression est là, visible, mais la ligne d'arrivée recule au fur et à mesure (une pour rien) que la Machine se déplace. .

Bercés, violés, arrachés à leurs préoccupations quotidiennes, les spectateurs réagissent comme dans un rêve. Sans effets stromboscopiques, sans l'usage d'aucun stupéfiant, le voyage aventureux commence emmené par le saxophone impersonnel d'Elton Dean. Et l'on s'étonne qu'à peine commencé le voyage s'achève déjà. Les Soft Machine ont déjà disparu. Il faut applaudir pendant cinq minutes pour qu'ils reviennent jouer un peu comme à regret. Il faudra recommencer à applaudir cette fois pendant dix longues minutes... Ils rejouent comme des professionnels sans âme, mais le public est satisfait. Il les laisse partir.

Un grand succès assurément. Pour la pop music, pour Caen, pour les Soft Machine et pour le public, qui manifestement a plus applaudi parce que les Soft Machine font grand bruit actuellement que par amour sincère. Le style du groupe est à la pop music ce que le « free » est au jazz. Le public n'est pas toujours prêt à cela. C'est peut-être finalement rassurant. Il ne fait pas de doute que c'est très certainement la musique de demain mais si cela est, il faut espérer que ce style ne soit pas le seul à prospérer. Dans un monde qui se déshumanise, on ne peut qu'appréhender une musique qui serait uniquement mécanique, uniquement froide... Il faut que les Soft Machine soient là demain, avec le Pink Floyd, pour que l'évolution se poursuive, mais il ne faut pas qu'ils soient là seuls... Il serait utopique de croire qu'ils sont les seuls à détenir la clé de l'évolution musicale. Ils y contribuent tout comme le Chicago, les Beatles ou le Led Zeppelin. Il serait bon que cela reste présent à notre esprit.

Roland GODEFROY, (Corresp. régional en Normandie.)


SOFT MACHINE ET LE RESTE...

ou SOFT MACHINE,
LE PREMIER PAS VERS AUTRE CHOSE


Les Soft Machine viennent d'achever leur deuxième tournée en France. Ils aiment bien la France et la France les aime bien. Tant mieux ! On a même fait du groupe — et ce n'est pas sans danger — « l'objet de la mode ». Pourquoi ? Qu'ont donc de particulier ces Soft Machine dont beaucoup ne prononcent le nom qu'avec une admiration passionnée ?

Je les ai vus récemment à Nantes où - fait très rare dans leur carrière — ils ont dû revenir sur scène après avoir été rappelés par un public à l'enthousiasme bien sympathique, même si parfois un peu indiscipliné. (Il faut savoir discerner les moments de repos, entre les morceaux, des moments de recueillement, pendant les morceaux... !) La première chose que l'on dit — ou que l'on devrait dire — en sortant d'un concert du Soft Machine, c'est le choc émotionnel que crée la beauté de leur musique. Cette musique est élaborée très intellectuellement, mais aussi très intelligemment. (Ce n'est pas forcément la même chose.) Elle n'est pas forme pure. Et c'est là qu'est le « miracle Soft Machine » : cette approche intellectuelle, loin d'entraver l'impact du choc émotionnel, le favorise, — sans quoi il n'y aurait pas de beauté. Je ne vais pas chercher à analyser cette musique, ce serait trop complexe ! Essayez : vous resterez ébahis ne sachant pas que dire, tellement c'est beau, ou alors les réflexions se bousculeront dans votre cerveau et il vous faudrait écrire un bouquin entier ! (De toutes façons, il vaut mieux les écouter !)

  Photo : Jacques Bernard
Ce soir-là à Nantes ils étaient accompagnés, comme depuis plusieurs mois, par Lyn Dobson (Elton Dean, lui, n'était pas là). Lyn Dobson est un multi-instrumentiste très talentueux qui a joué, entre autres, avec Manfred Mann, et a participé à l'enregistrement du premier L.P. de Humble Pie. Avec Soft Machine il joue de l'alto, du ténor, de la' flûte, de l'harmonica (!), et il chante. C'est certainement à l'alto et à la flûte qu'il s'intègre le mieux à la musique du Soft Machine et leur apporte vraiment quelque chose.

Inutile de présenter les autres « rouages » de la Machine... Le fait important c'est qu'au cours de cette nouvelle tournée ils ont, si besoin était, refait la preuve qu'ils étaient les seuls peut-être, avec le Pink Floyd, à créer quelque chose d'autre, de nouveau, de profondément différent. Hervé Muller écrivait récemment (BEST n° 18), dans un article sur Chicago Transit Authority, que s'il y avait à chercher quelque part un exemple de la fameuse synthèse « rock-jazz », les Soft Machine étaient peut-être le meilleur que l'on puisse trouver. De toutes façons, il ne sont pas que «ça», et ils vont beaucoup plus loin que tous les groupes américains, que l'on nous annonce tout à tour comme « les meilleurs du monde », (pourquoi pas champions du monde pendant qu'on y est?), tels Blood Sweat and Tears, Chicago, Flock...

Car les Soft Machine ont transcendé toutes leurs influences (qui sont peut-être toutes les influences), et ils sont parvenus à un tout homogène. Ce n'est pas (comme pour B.S.T., C.T.A., Flock) une juxtaposition, c'est une addition d'influences ; ceci dans la mesure où l'on peut dire que le résultat forme un tout indécomposable, indivisible, dans lequel on ne discerne que difficilement les influences initiales. Il y avait plusieurs éléments au départ, il y a un tout à l'arrivée. B.S.T.. Chicago, Flock, c'est du jazz et du rock. Soft Machine ce n'est ni l'un ni l'autre, c'est une somme. Chez les trois groupes américains il est possible de faire (en gros) la séparation entre l'élément jazz et l'élément rock (les deux termes pris dans leur sens le plus large). Chicago, par exemple : leur musique est avant tout une musique « rock », assez traditionnelle, (très structurée cependant) enrichie de cuivres qui leur donnent un aspect «jazz». Il en est de même de B.S.T., plus jazz pourtant — dans son esprit comme dans sa forme. De toutes façons il n'y a pas là véritable synthèse (ou alors elle est assez superficielle).

Les Soft Machine ont réalisé une synthèse beaucoup plus profonde, au niveau de l'essence même de la musique. Et cette synthèse est d'autant plus originale qu'elle n'est pas le but de leur recherche (contrairement à B.S.T., peut-être) mais son fruit. Le but des Soft Machine c'est la musique tout simplement. S'ils ont pu aller plus loin c'est qu'ils sont avant tout des compositeurs. Leur musique est construite du début à la fin, et les parties improvisées font partie de cette construction. (Contrairement au jazz pur où elles sont en général le prétexte du morceau). Le jazz ne mourra pas, le « rock », sous différentes formes, continuera son chemin. Les Soft Machine ne remplacent rien, ils sont le premier pas vers autre chose. Et nombreux, il faut l'espérer, seront ceux qui les suivront; là est l'avenir.de cette passionnante chose appelée « popular music ».

Pour le moment attendons la sortie du troisième L.P. de la fabuleuse Machine, prévue aux alentours de juillet pour la France, et — surprenante mais réjouissante nouvelle — du premier L.P. en solo de leur drummer Robert Wyatt... ! Quand on sait quel arrangeur-compositeur, et quel multi-instrumentiste assez incroyable il est... ça promet ! (Il peut jouer piano, violon, trompette, violoncelle, basse, guitare et, bien sûr — et comment ! — batterie...!) Ces Soft Machine, quand même !...

Olivier BULARD, (Corresp. régional en Loire-Atlantique.)

       
     
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