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 L'ange immuable - Batterie Magazine - N° 18 - novembre 2005





Lorsqu'il naît le 28 janvier 1945, Robert Wyatt traverse déjà l'infini grâce au son de sa voix, première arme musicale. Très tôt, la question ne se pose plus et ne se posera plus jamais, il sera "musique". « Je me souviens que dès mon plus jeune âge, j'ai commencé à chanter, ma voix est mon premier instrument à vrai dire. Lorsque mon père est venu habiter avec nous j'avais à peine 6 ans. A la maison, il jouait du piano, des adaptations de chansons folk, des chansons de Noël aussi, c'était ça mon premier band (rires). Vers l'âge de 16 ans je me suis fabriqué des baguettes avec des papiers journaux roulés et je jouais sur des disques de Max Roach. Je tapais sur des boîtes et je me suis constitué un petit set de batterie composite. Par la suite, j'ai aussi essayé la trompette en essayant de repiquer des plans de Don Cherry ! Mais je n'étais pas très bon (...) »

Les années lycée seront décisives pour Wyatt, toutes ses rencontres musicales vont se manifester les unes après les autres et constituer l'embryon de la fameuse Ecole de Canterbury.




LES CONTES DE CANTERBURY

Déjà en 1957, le jeune Robert ne tient plus en place. Il a alors 12 ans et monte une formation de skiffle (mélange de rythm'n'blues et de rock'n'roll). Ses parents, totalement ouverts à tous types de musique facilitent l'évolution musicale de Wyatt, leur maison de Canterbury possède 14 chambres et pour rentabiliser cette bâtisse, ils louent des chambres à de jeunes musiciens et autres vagabonds de l'imaginaire. C'est ainsi qu'apparait en 1960 Daevid Allen, jeune hippie voyageur et fondateur de Gong, apportant avec lui une énorme collection de disques de jazz et une philosophie de la vie dont Robert Wyatt s'inspirera profondément. A partir de cette date, Wyatt va s'entourer des musiciens qui créeront le mouvement musical rock-psychédélique appelé « l'Ecole de Canterbury ». Les groupes qui vont composer cette école s'appellent Soft Machine, Matching Mole, Gong, Caravan et Hatfield And the North. Agissant dans ces formations à géométrie variable. Robert Wyatt s'exprimera aussi bien à la voix qu'à la batterie. En 1962, il intègre au chant The Wilde Flowers, prémices de l'école de Canterbury. Tous les musiciens de son premier groupe Soft Machine proviennent de ce band initial: Hugh Hopper (bassiste), Kevin Ayers (guitare, voix) et Mike Ratledge (orgue). Soft Machine vivra 5 ans, de 1966 à 1971. ouvrant même pour Jimi Hendrix lors d'une de leur tournée en 1968 dans le Massachusetts!

C'est aussi au sein de Soft Machine que Robert Wyatt développera toute sa conception de la batterie.

« Lorsque j'ai commencé à jouer avec Soft Machine, j'avais deux idées en tête concernant mon approche de la batterie : d'une part la simplicité, dans un style axé soul-music avec de bons grooves à faire tourner ou encore des plans façon "New Orleans" plus jazzy mais très sobres ; d'autre part - et d'un point de vue extrême - j'aimais aussi le style des batteurs de la fin des années 50 qui jouaient avec le pianiste Cecil Taylor (avant-garde jazz), le batteur Billy Higgins et bien sûr le grand Elvin Jones.




C'étaient tous des batteurs possédant un style très personnel, je ne cherchais pas à imiter leur style mais plutôt à rejoindre leur idée de liberté avec l'instrument. A la batterie, j'ai toujours cherché à servir la musique avant tout, je ne me suis jamais préoccupé de mon style car pour moi la batterie en tant qu'instrument isolé ne m'intéresse pas. On peut faire et composer de la musique sans batterie, donc, à mon sens, sa place doit toujours être justifiée. Il ne suffit pas simplement de s'asseoir derrière pour créer l'effet désiré. Je pense qu'à l'époque, on retrouvait dans ma façon de jouer de la batterie certains ingrédients jazz. C'est une évidence : la batterie et l'évolution du set de batterie appartiennent à l'histoire du jazz avant tout. J'adore l'ambiguïté rythmique qui se crée dans le jazz, car je trouve la batterie rock parfois trop rigide., trop arithmétique. Je préfère la batterie lorsqu'elle est jouée dangereusement.»



Matching Mole, francisation angliciste de Soft Machine (prononcez machine molle avec un accent anglais, vous verrez), existant de 1971 à 1973, ouvre la carrière solo de Wyatt. Même si ce dernier laisse le groupe s'exprimer démocratiquement, il excelle déjà dans la composition isolée et visionnaire (cf. "The End Of An Ear" 1970).


La tragédie

La fin de l'aventure Matching Mole est marquée par un triste accident: le 1er juin 1973, durant une soirée trop arrosée à Londres, Robert Wyatt se défenestre du troisième étage. Il ne retrouvera plus jamais l'usage de ses jambes et devient paraplégique. De cette tristesse intense émergera "Rock Bottom" en 1974, second album solo, objet musical non identifié à ce jour et d'une beauté impitoyable. L'unique testament live de "Rock Bottom" vient à peine de sortir, il révèle dans son intégralité la solitude lunaire de Wyatt sublimée par les mêmes musiciens ayant participé à l'enregistrement du chef-d'œuvre. Après cette date du 8 septembre 1974, Wyatt ne donnera plus jamais de concerts.

« Je ne peux plus faire de concerts, il m'est impossible de me concentrer face à un public tout le long du concert, je n'ai pas les idées claires et je n'arrive pas à écouter attentivement ce qui se passe dans ma tête. J'ai peur du jugement des autres. Pour la batterie, c'était différent, je considérais ça comme un acte social, le fruit d'un apport avec d'autres personnes. En plus, quand j'étais jeune, je m'en fichais complètement d'être sur scène ou pas. »

Il se retire dans la campagne anglaise avec sa femme Alfie et compose pour lui et d'autres artistes. Il compte environ 7 albums solo depuis, et une quantité incroyable de participations avec des musiciens de plusieurs pays. Dernièrement, on a pu l'entendre sur l'album de Bjork "Medula".

« Chanter sur l'album "Medula" de Bjork fut une belle surprise. Nous nous sommes vus un week-end, elle est venue jusqu'à chez moi - elle a pris un hôtel à côté, je vous rassure! - et elle m'a présenté son album fini. Elle voulait une autre touche vocale et m'a laissé entièrement libre de faire ce que je voulais. En studio j'ai dû demander à l'ingénieur du son d'aller faire un tour pour faire ma prise car j'étais trop nerveux de le voir en face de moi à travers la vitre de la cabine. Pour la seconde prise, je lui ai demandé la même faveur. Bref, Bjork est une chanteuse remarquable avec un esprit frais et novateur. »

De nombreux livres et documents sont consacrés à Robert Wyatt, son génie inspire toujours la scène pop et rock actuelle, sa façon de chanter mais aussi ce sentiment de liberté musicale et d'affranchissement des règles imposées. Son avis sur les groupes d'aujourd'hui ? « J'écoute la pop actuelle mais pas trop de rock, d'ailleurs je ne connais pas beaucoup les groupes d'aujourd'hui. Ce qui me dérange le plus avec les groupes de maintenant c'est que je n'arrive pas bien à savoir s'ils sont vraiment responsables de leur musique. Cela me semble très occulte. »

Michel Villar






     
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