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Different every time - traduction française


Quel millésime cette année 2016 avec les publications successives de L'École de Canterbury d'Aymeric Leroy et la traduction française de la magistrale biographie de Robert Wyatt Different every time de Marcus O'Dair tout juste publiée le mois dernier aux Editions du Castor Astral !

La préface de Jonathan Coe donne la clé de cette relation unique qui lie le compositeur-interprète de Moon In June et de Signed Curtain à ses admirateurs depuis plus de 40 ans :

"De plus en plus Robert Wyatt ressemble à la voix de la raison. Des chansons sensées pour une époque insensée. Il n'est pas étonnant que d'innombrables personnes, telles que moi, ont été inspirées et élevées par celles-ci pendant si longtemps, et resteront à jamais reconnaissantes."





"More and more, Robert Wyatt sounds like the voice of sanity. Sane songs for insane times. No wonder that I, and countless others, have been inspired and uplifted by them for so long, and will remain forever grateful."

Touché ! En 22 chapitres et two sides - The drummer biped et Ex machina - Marcus O'Dair nous transporte des premiers concerts de congas sur la plage de Déia (Majorque) au studio de son ami Phil Manzanera en passant par les soirées au Ronnie Scott's ou les tournées américaines.

Les habitués du site disco-robertwyatt.com retrouveront avec plaisir le récit des enregistrements les plus emblématiques de la carrière de Robert Wyatt mais aussi ses multiples et inattendues collaborations musicales qui ont rythmé sa vie de compositeur et de musicien durant plusieurs décennies.

Au-delà de la trame chronologique que la plupart des lecteurs de cette newsletter connaissent déjà peu ou prou, c'est surtout la parole de Robert Wyatt qui est le fil conducteur de l'ouvrage. Jamais avare d'une réflexion critique sur son travail - un tantinet masochiste toutefois - il décrypte avec lucidité son parcours d'artiste et les métamorphoses de l'industrie culturelle qui impose progressivement sa pensée dominante depuis un demi-siècle.







Ce qui me touche le plus, c'est sa fidélité à des valeurs qu'il a su exprimer musicalement de la manière la plus radicale mais aussi la plus inventive et la plus légère possible. Comme s'il avait trouvé la martingale faisant cohabiter simplicité et complexité, fantaisie et profondeur...

Mais bien des batailles intimes se sont livrées au cours de cette vie qui ne fut pas sans récifs. Marcus O'Dair ne transforme pas Robert Wyatt en héros positif de la musique engagée et avant-gardiste. Il déroule le fil d'une histoire pleine de doutes et d'incompréhensions qui seront souvent surmontés grâce à la passion combative d'Alfie sans laquelle les chefs-d'œuvre de la période "solo" n'auraient sans doute jamais vu le jour...





Ce livre paraît quelques mois après que Robert Wyatt a mis officiellement un terme à sa carrière artistique. J'espère que Robert Wyatt ne raccrochera pas totalement les gants et qu'il continuera de nous faire parvenir de temps à autre une de ses cartes postales sonores qui irradient les œuvres de ses amis musiciens.

Different every time est paru aux Éditions du Castor Astral - collection Castor Music, traduit de l'anglais par Pauline Firla et Louis Moisan. Préface de Jonathan Coe.
454 pages - 24 euros.

Argumentaire de l'éditeur

En vente sur les librairies en ligne et dans toutes les librairies physiques avec de vrais livres et de vrais libraires à l'intérieur (vivement recommandé).



En savoir plus : Different every time, la biographie de Marcus O'DAir




Qui contestera à Moon in June, le morceau de Soft Machine, composé en mai 1970 par le batteur Robert Wyatt, la qualité de totale perfection? Wyatt et ses congénères David Aellen, Kevin Ayers et l’organiste Mike Ratledge ont formé Soft en 1966 à Canterbury (GB). Le chef d’œuvre Moon in June figure sur le troisième album du groupe (Third). Une suite sublime (19 minutes) psalmodiée par le batteur lui-même (la voix d’ange approche le registre de haute contre). Wyatt quittera Soft en 71 pour fonder Matching Mole.

O Caroline, balade de rêve, également signée Wyatt, inaugure le premier disque intitulé Matching Mole (1972). Délice renouvelé. Une thèse sur la beauté dans le rock anglais devrait autant s’attarder sur ces deux seuls titres que sur l’intégrale des Beatles. Les cadeaux ne sont pas au bout. L’Anglais né à Bristol a 27 ans. Il rencontre sa compagne Alfie (l’actrice Alfreda Benge), au premier concert de Matching Mole, le 22 janvier 1972. Une chute de plusieurs étages lui brise les jambes (1973).

En convalescence, il concocte Rock Bottom, un bijou d’album. J’assiste à la présentation en avant-première à Londres des morceaux de Rock Bottom durant la soirée caritative pour Mal Dean, le 25 juillet 1974. Devant une petite centaine de personnes, dont quatre ados (nous), Wyatt joue seul au piano, sur la chaise roulante. C’est poignant. A la fin de la prestation, les copains de Strasbourg en goguette cet été-là, viennent féliciter leur dieu. Nos guibolles tremblent, on ressent un trac fou. Wyatt! Le sourire, la bienveillance, nous éblouissent. Je bafouille quelques mots, genre «on a tous vos disques Monsieur Wyatt». Lui (en anglais): «Oh des Français, c’est gentil d’être venus m’écouter. La musique vous a plu?» Le monument Rock Bottom sort en 1974, envolée de lumière dans les ténèbres.

Lorsque je reverrai Wyatt à Paris (le label Naïve distribue en 2004 His Greatest Misses , une compil truffée d’inédits magnifiques, organise des interviews), je lui rappellerai. Wyatt n’en revenait pas : « incroyable, vous étiez présents?» Je lui demande le nom du saxophoniste qui l’a rejoint pour les morceaux de la fin. Il ne se souvenait pas du tout d’un saxo ce soir-là. Apparaît Alfie, dans le patio de l’hôtel. Wyatt l’interpelle : «tu sais pas la meilleure, Alfie, ce garçon était à la première de
Rock Bottom! Il n’y avait pas de saxo, je jouais seul, n’est-ce pas?» Alfie réfléchit. «Si si, Robert. Gary Windo t’as rejoint pour les deux derniers morceaux »!

Chers lecteurs, croyez-le, le nirvana me paraissait un plancher à côté de l’altitude où je planais. Je supplie la personne de Naïve de nous photographier. Dans l’ouvrage qui sort cet été au Castor Astral, traduction française de la bible déjà culte de Marcus O’Dair parue en 2014 (Robert Wyatt, Different every time), on trouve mille précisions sur la vie du grand homme. Je vérifie notamment celle sur Gary Windo. Le témoignage de Wyatt appuie les informations sur une longévité sans compromis (nombreuses rencontres avec l’auteur). Le récit passe du Soft Machine psychédélique à la rédemption de Rock Bottom (mariage avec Alfie, très présente dans l’ouvrage, en fusion permanente). Et s’étend sur les nombreux albums solos (Old Rottenhat, Dondestan, Shleep, Cuckooland, etc.) Les plages intimes fourmillent. Ainsi l’on se ressource avec Robert pendant les moments de paradis sur le South Bank de Londres. La musique de Robert incarne sa vie. La voici, en vrai.


Bruno Pfeiffer