Les années Before | Soft Machine | Matching Mole | Solo | With Friends | Samples | Compilations | V.A. | Bootlegs | Reprises|
Interviews & articles
     
 Grande nuit underground au Palais des Sports - Pop Music - N° 44 - 28 janvier 1971




GRANDE NUIT
UNDERGROUND
AU PALAIS DES SPORTS





 

Dimanche 31 janvier à 21 heures au Palais des sports de Paris, Porte de Versailles, aura lieu un concert exceptionnel. Sont annoncés Iron Butterfly, Yes, Soft Machine, Kevin Ayers and The Whole World et le Gong avec Daevid Allen. Ce panorama est intéressant, tous les groupes présentés sont à la limite de la Pop Music de consommation et de l'Underground, c'est ce que vous expliquent nos rédacteurs.


 


La machine, le camembert
et le monde entier.


A l'origine de la machine, un poète : Daevid Allen, un philosophe : Michael Ratledge, un lycéen : Robert Wyatt. La machine tourne, tourne, perd des éléments, s'en adjoint de nouveaux. Elle fait école et des petites machines gravitent dans son sillage : Le Gong, Kevin Ayers And The Whole World. Elles seront toutes réunies au Palais des Sports, la retrouvaille pourrait être intéressante.


TONY LEWIN



Alors que le mouvement pop n'en était qu'à ses balbutiements en Angleterre, la région de Canterbury était déjà le centre d'une importante activité musicale. Les responsables en étaient cinq jeunes universitaires : un Australien, Daevid Allen, et quatre Anglais, Michael Ratledge, Robert Wyatt, Hugh Hopper et Kevin Ayers. Ils formèrent un clan de musiciens qui, volontairement, allaient à l'encontre du son à la mode. Plus tard, ils prendront pour nom Soft Machine, en hommage à l'écrivain underground William Burroughs, lequel a donné à l'un de ses romans le titre " Soft Machine " (la machine molle). Ces cinq passionnés de Pop Music vivaient ensemble. Une même passion, celle du jazz, les liait. Lorsque des caractères aussi marqués que ceux de ces cinq hommes s'affrontent, l'issue fatale ne peut être que la séparation. Au départ, la formation se produisait en trio : Ayers, Ratledge et Hopper. Au sein du trio, l'apport de Kevin Ayers était prépondérant. Kevin n'est pas un adepte aussi fervent du Jazz que les autres, aussi fallut-il attendre la venue de Daevid et Robert pour que l'orientation du groupe soit jazzy.

Daevid avait joué dans un club de Jazz, le Ronnie Scott's, dès son arrivée à Londres. Robert Wyatt, encore lycéen, avait passé deux étés à Majorque chez un ami de son père, le poète Robert Graves, où il devint vite un habitué du Majorca Jazz Club. Mike Ratledege avait fait partie d'un groupe de Jazz et d'avant-garde. Au niveau des textes l'entente était totale. Daevid est poète ; Mike Ratledge, après avoir étudié la philosophie à Oxford, était parti étudier la poésie dans une université américaine. Cet attrait pour la poésie se retrouvera en bonne place dans leurs chansons. Soft Machine utilise de moins en moins de textes, seul Robert Wyatt continuera d'ailleurs à mettre des paroles sus ses compositions. L'évolution de Hugh Hopper et de Mike Ratledge est très intéressante, bien qu'elle déborde le domaine purement musical. Il semble évident pour toute personne qui les connait bien (et Robert Wyatt est de celles-là) que Hopper et Ratledge se sont beaucoup plus tournés vers eux-mêmes que vers l'extérieur, ce qui rend les contacts très difficiles. La relative rareté de leurs apparaitions publiques, le fait qi'il y ait presqu'un an que Soft Machine n'a pas fait de disque, n'est peut-être pas étranger à cet état de choses.     




Nous en arrivons au moment où la machine commence à se disloquer. Hugh Hopper avait fui mystérieusement sans laisser de trace. Après avoir joué à Saint-Tropez dans le spectacle de Picasso et J. Jacques Lebel "Le Désir Attrapé Par La Queue", Daevid Allendut quitter le groupe. Les policiers anglais lui avaient interdit d'entrer en Grande-Bretagne. Daevid respecta le hasard, et d'ailleurs, il reconnaît : "Il était très dur de joeur avec Soft Machine. C'est surtout un truc d'orgue". Maintenant seul et libre, Daevid Allen va pouvoir aller jusqu'au bout de lui-même. Alors qu'avec Soft Machine, il était soumis à certaines restrictions, il va pouvoir donner libre cours à ses idées. Il commence avec "Banana Moon" qui deviendra Ame Son et puis il s'installe avec Gong pour s'y fondre rapidement. L'influence du jazz est toujours sensible. Pour enregistrer son premier album, paru chez Byg, il s'était entouré de Didier Malherbe, Didier Gewiffer, earl Freeman et Burton Greene. Il s'en détache de plus en plus pour composer une musique parfaitement originale. Les parties vocales ont une très grande importance parce qu'elles ne sont pas conçues pour se résumer à une récitation simpliste, mais plutôt pour se mêler aux instruments et pour contribuer à la création du tout : la musique de Gong.

La voix volontairement outrée, jouant avec les syllabes comme avec un instrument contribuant à créer la musique qu'il aime, refusant de parler de Soft Machine parce qu'au fond, déclare-t-il avec humour, "ce n'est qu'un camembert" (titre du second album de Gong).





Revenons à ce qui reste maintenant de Soft Machine. Daevid Allen est parti, Kevin Ayers joue seul de la guitare. Le groupe avait déjà enregistré un 45 tours ("Love Makes Sweet Music" et "Feeling Reeling Sprealing"), il va enregistrer son premier album avec Robert Wyatt (batterie), Mike Ratledge (orgue) et Kevin Ayers (guitare). Le groupe possède une technique musicale qui contratse avec les productions de la plupart des groupes pop de la même époque. L'influence de Kevin Ayers y est très sensible (il participe à la création de la plupart des thèmes). Devant le renoncement presque total de Ratledge et Wyatt à imposer la musqiue qu'ils aiment vraiment, Kevin Ayers donne au groupe une conception "classique" de la Pop Music. Pourtant les traces de ce que sera Soft Machine sont déjà là par instants. Elles percent quand Ratledge se laisse aller librement dans un solo. L'influence de Terry Riley (compositeur de musique contemporaine avec lequel Robert Wyatt et Daevid Allen avaient joué) est très sensible ("We Did It Again") les parties chantées sont en grand nombre. Robert Wyatt et Mike Ratledge montrent déjà quels parfaits instrumentistes ils sont.





A cet égard, le décalage batteur-voix-orgue dans "Why Are We Sleeping?" est tout à fait remarquable. Ce disque si riche ne pouvait satisfaire totalement aucune des deux parties. Kevin Ayers quitta le groupe pour former Kevin Ayers Whole World, avec un musicien anglais de musique contemporaine, David Bedford. La musique du Whole World doit beaucoup à celle de Soft Machine. En passant à Paris récemment, les musiciens interprétèrent : "Why Are We Sleeping?" et "We Did It Again". La musique du groupe est très nouvelle. On a déjà entendu parler des associations musique contemporaine-musique pop (Spooky Thoo-Pierre Henry par exemple), mais cette association n'était que provisoire et, de plus, les musiques ne faisaient que se superposer. Tout diffèrent est le Whole World, puisqu'il peut y avoir juxtaposition des deux genres. Kevin Ayers continue son chemin. Quand il quitta Soft Machine, il fut immédiatement remplacé par Hugh Hopper. Délivré de l'influence de Kevin Ayers, Soft Machine va enfin pouvoir créer sa musique originale. Le second album se présente comme un montage de thèmes différents par leur forme, leur durée et leur contenu.

La machine retourne au Jazz et se rappelle qu'au début Robert Wyatt et Hugh Hopper jouent dans un groupe de Jazz, le Wilde Flower... La machine fera donc du Jazz. Elle fait appel à quatre "souffleurs" anglais. Deux ont déjà joué dans l'album du Keith Tippett Group "You Are Here, I Am There". Ils ont pour noms Elton Dean et Nick Evans. Il y a aussi Lyn Robson, Jimmy Castings et Rab Spall (violon). C'est ce groupe qui enregistra "Third", le troisième album de Soft Machine. La musique est très nouvelle. Tout à fait différent de l'album précédent. Malgré l'adjonction de cinq personnes qui ont dû être (tout au moins au début), extérieures à la Machine, l'entente des nouveaux et des anciens Soft Machine est totale. A aucun moment un musicien ne cherche à se faire remarquer plus particulièrement. C'est une constante de Soft Machine, la musique jouée est la musique d'un groupe et non celle d'une personnalité. Robert Wyatt dit : "Nous avons chacun nos idées sur la musique. Nous avons les mêmes idées sur ce que nous devons jouer ensemble ou avec plus de liberté. Mais il y a des moments où je ne joue pas en fonction de la base linéaire qu'observe Hugh Hopper et où Hugh et moi ne soutenons pas Mike parce que nous sommes autre part. L'idée, après tout, n'est pas de créer quatre morceaux de musique, mais un seul". Avec "Third", les musiciens ont vraiment trouvé ce qui leur convenait, mais ce qui semble satisfaire totalement Hopper et Ratledge (puisqu'ils ne font rien d'autre), ne satisfait pas totalement Wyatt. Pour échapper à une certaine contrainte, à ce surplus de recherche incessante, Wyatt a voulu jouer avec le Whole World de Kevin Ayers pour revenir un instant à plus de simplicité. Après cette expérience, il joua avec le Keith Tippett Centipede (Soft Machine avait déjà joué avec cet orchestre de Jazz moderne au festival d'Amougies). Sa participation à l'album "Symbiosis", dans lequel il n'est qu'un musicien parmi les autres , s'est justifiée par la trop grande rigidité que Soft Machine exige de ses participants : "Symbiosis", c'est autre chose que je possède en moi et que je n'avais pu extérioriser avec Soft Machine. Son évolution est-elle arrivée à terme ? Les hommes ont-ils atteint leur but ? Vont-ils rester à un même niveau ou continuer à chercher ? La musique de Soft Machine est une musique vivante et en perpétuelle évolution, créée et recréée sans cesse. Hugh Hopper et Mike Ratledge restent dans l'ombre. Robert Wyatt dépense son énergie sans compter à la recherche perpétuelle de quelque chose de nouveau. Kevin Ayers et Daevid Allen se sont fondus au Whole World et au Gong. La famille Soft Machine est arrivée à maturité, mais sa production n'est pas terminée.
 
       
     
Previous article