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Tago Mago


En 1981, Pascal Bussy, éditeur du label Tago Mago, publie une revue-cassette comportant un double titre : MECANO - ROBERT WYATT. La revue imprimée en N/B est présentée dans un emballage plastique transparent, une cassette audio glissée à l'intérieur.


Illustration : Robert Wyatt

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Illustration : Théo Bolten




Illustration : Hugh Hopper



Soft Machine, Matching Mole, «Rock Bottom», inutile de présenter Robert Wyatt, ce héros de la musique anglaise qui fut l'un des tout premiers à faire reculer les barrières traditionnelles du rock. Depuis quelques années, Wyatt s'était tenu un peu à l'écart de la production musicale. Et puis, au début de 1981, c'est la surprise : il signe un contrat avec Rough Trade, le label de nouveau rock le plus en vue d'Angleterre. Au programme, une série de singles, et sans doute d'autres projets par la suite. Déjà, le nom de Wyatt réaparaît sur les pochettes de disques : il joue des percussions pour les Raincoats, de l'orgue avec les Scritti Politti, et participe à la « superstar session » de Vivien Goldman avec John Lydon de P.I.L. Dans cette longue interview réalisée chez lui dans sa maison de Twickenham, Robert Wyatt parle de sa vie, de la musique bien sûr, et de quelques-uns de ses centres d'intérêt.

 

Robert Wyatt a enregistré avec Soft Machine (Probe, C.B.S.), Matching Mole (C.B.S.), et en solo (C.B.S., Virgin). Depuis sa signature chez Rough Trade, il y a publié quatre singles: « Arauco »/« Caimanera », « Stalin Wasn't Stalling »/« Stalingrad », « At Last l'm Free »/«Strange Fruit », et « Grass »/ « Trade Union », ainsi qu'un inédit, « Born Again Cretin », sur la cassette New Musical Express/Rough Trade.

Wyatt a collaboré en outre à certains disques de Daevid Allen, Kevin Ayers, Centipede, Lol Coxhill, Kevin Coyne, Brian Eno, Vivien Goldman, Hatfield And The North, Henry Cow, Mike Mantler et Carla Bley, Phil Manzanera, Nick Mason, des Raincoats, de Scritti Politti, Epic Soundtracks, et du Keith Tippett Group. Il apparaît aussi sur le 33 tours « Voices And Instruments » consacré à Jan Steele et John Cage (Obscure 5) et sur le 33 tours « Miniatures » dirigé par Morgan-Fisher (Pipe).



 

Pourquoi ce silence musical de plusieurs années ?
Après la sortie de « Ruth & Richard » j'ai eu de gros problèmes matériels, beaucoup de dettes..... A cette époque, j'aimais encore tout faire à la fois : composer, jouer, chanter, diriger ma musique, et faire des concerts de temps en temps. Et puis, petit à petit je me suis dit que si je ne composais pas je pouvais très bien chanter des morceaux de quelqu'un d'autre, j'ai découvert ça avec Carla Bley et Mike Mantler. Je dois beaucoup à Caria Bley. c'est elle qui m'a obligé à retravailler, pour « The Hapless Child » et «Silence», à un moment où j'étais très découragé. C'était juste après « Ruth », et le fait que quelqu 'un d'autre ait la responsabilité de la musique m'a beaucoup plu. j'étais très content d'être là juste en tant que simple exécutant. Evidemment, depuis que je suis dans une chaise roulante tout a changé, je ne peux plus avoir de groupe régulier et je ne pense plus du tout en termes de carrière, de disques, de concerts, etc. Et puis j'ai commencé à avoir d'autres priorités. Mes intérêts et mon travail, en fait, sont devenus de plus en plus séparés. Mais quand j'y repense, je n'ai pas été en dehors du « business » pendant si longtemps. J'ai répondu à diverses propositions d'autres gens. Ce qui est vrai, c'est que je n'ai rien suscité moi-même jusqu'à que je signe avec Rough Trade.


A un moment tu avais parlé d'un retour avec Scritti Politti...
Finalement ça ne s'est pas fait de cette façon-là. J'ai tout de même joué avec eux et j'ai participé à l'enregistrement de leur disque avec « Sweetest Girl ». Cela a été très agréable à faire, d'ailleurs.
Tiré à 1 500 exemplaires au format 21 x 29,7, l'objet se compose d'une présentation du groupe néerlandais Mecano, d'un entretien avec son bassiste (Théo Bolten), de paroles de chansons et photo du groupe.
La musique sur la cassette est uniquement signée Mecano.

Robert Wyatt y répond également à un long interview et propose un "Self-Pawtrait" accompagné d'une de ses illustrations et du dessin de couverture. D'autres dessins de Théo Bolten et d'Hugh Hopper complètent la revue.







Tu acceptes toujours de participer à des sessions pour d'autres musiciens ?
Oh.oui. J'ai joué récemment avec les Raincoats (sur un titre d '« Odyshape »), et puis il y a eu cette session organisée par Vivien Goldman (« Launderette »). plus des choses avec Kevin Coyne.


Et en dehors de la musique, qu'est-ce que tu fait ?

J'ai énormément écrit, des centaines de pages... Et Alfie, ma femme, m'a beaucoup emmené au cinéma. Par le cinéma (et aussi la radio) je me familiarise avec beaucoup de choses.


Qu'est-ce que tu as aimé comme films, récemment ?
Les films du Japonais Ozu. ils sont merveilleux. Et dans le cinéma européen. Wim Wenders. Fassbinder. Tous ces cinéastes ne sont pas très connus en Angleterre, d'abord parce que les Anglais regardent trop la télévision et ne vont pas au cinéma, et ensuite parce que dès qu'un film est étranger ils pensent qu'il s'agit d'un film prétentieux !

Tu vois beaucoup d'amis, musiciens ou non ?
Euh... j'ai des amis de l'époque où j'étais plus actif, mais ce sont des gens qui voyagent tous beaucoup et je ne les vois jamais. Prend par exemple tous ceux qui jouent sur; "Ruth & Richard", John Greaves est aux Etats-Unis. Brian Eno aussi. Fred Frith vit à New York. Gary Windo est aussi en Amérique. Mongezi Feza est mort.... Hugh Hopper vient me voir de temps en temps. Mike Ratledge aussi quelquefois.


Je reviens un peu en arrière. Tu n'as pas été content de « Ruth Is Stranger Than Richard » ?
Non pas vraiment. Mon idée de départ était en fait un disque en trio avec Mongezi Feza et Gary Windo Et puis, il y a eu des problèmes d'argent, je n 'ai même pas eu de quoi terminer le disque comme j'aurais voulu. L'argent est un problème constant pour moi. Comme j'envie le peintre et l'écrivain, ils peuvent expérimenter et retoucher pendant des heures avec pour seule dépense du papier et un crayon, et quelques sous pour une tasse de thé. Mais un studio, ça coûte tellement cher ! Et en plus dès que j'y suis je deviens tout de suite très nerveux, comme lorsque je vais chez le dentiste.... !


La solution serait d'avoir ton propre studio...
Oui mais il y aurait un autre problème car je ne comprends rien aux choses électroniques. Je sais organiser la musique dans ma tête, la mettre en sons avec mon corps.... Finalement je suis un musicien très primitif, j'utilise à la base les deux instruments les plus simples, la bouche et les mains, et je fais le plus possible avec ça.


Que penses-tu de ton public en France ? Tu n'as pas l'impression de représenter un mythe malgré toi ?

Oui, il y a tout ce côté, euh.....un peu snob.... Mais..... à dire vrai, c'est un peu un conflit pour moi tout ça. D'avoir été classé comme un créateur de la musique moderne, tout ce processus, ce langage, cette terminologie exclusive. Et bien sûr. je me rends compte que pas mal de gens qui ont acheté mes disques ont souvent investi là-dedans toutes sortes de significations, trop sans doute. Mais j'ai du mal à te répondre objectivement, car sans tous ces gens en France, en Italie, en Hollande, je n'aurais jamais pu gagner assez d'argent pour vivre et continuer ma musique. Je leur suis donc très reconnaissant.


Pourquoi as-tu cité la Hollande ?
C'est le premier pays où il y a eu un article dans un journal sur Soft Machine, même avant la France. C'était fantastique de jouer en France et en Hollande, on pouvait se donner à fond, tandis, qu'en Angleterre le public était plus réservé. J'ai de très bons souvenirs en Hollande, j'y avais fait une tournée dans le Whole World de Kevin Ayers, c 'était fantastique ! Je me rappelle ces solos de sax incroyables de Lol Coxhill, et les groupies hollandaises. Mon Dieu, les groupies hollandaises.... !


Comment revois-tu aujourd'hui la période d'avant Soft Machine ? Y avait-il vraiment une « scène de Canterbury ».... ?

Euh.... Il ne se passait pas grand chose à Canterbury. J'avais rencontré Mike Ratledge, Hugh Hopper, David
Sinclair. Les gens de Caravan, eux, possédaient plus que nous ce sentiment d'appartenance à un clan. D'ailleurs, aujourd'hui encore ils habitent tous là-bas, comme Hugh. Hugh est le véritable lien de toute cette famille, si elle existe.


A quoi ressemblait votre musique de l'époque ?
A de la pop, avec deux ou trois reprises de James Browxn par-ci par-là. C'était tout, rien d'extraordinaire.


Les bandes publiées plus tard par Gomelsky sont-elles représentatives, d'après toi?
Ce ne sont que des «démos» qu'on avait enregistrées sans penser qu 'elles sortiraient un jour en disque. Hugh Hopper et Kevin Ayers avaient commencé à écrire des chansons, on a voulu voir comment elles sonnaient, c'est tout. J'aime beaucoup les musiques que Hugh écrivait, avec de très belles structures harmoniques. Mais musicalement, ce qu'il y a eu de plus intéressant je pense, c'était lorsqu'on était en trio, Hugh, Daevid Allen, et moi. Plus tard, quand Soft Machine a vraiment commencé, nous avions déjà abandonné une bonne partie de notre côté expérimental.


Allen était au centre du premier Soft Machine, non ?
Il était l'élément international, il avait des contacts partout. Nous, à côté, on était des provinciaux! Mais musicalement c'était Hugh le plus créatif. Kevin Ayers, c était différent, son talent se serait développé dans n 'importe quel autre contexte. Soft Machine ou pas.


Vous voyagiez beaucoup à cette époque..... ?
Oui, et c 'est une des choses qui me rend très triste depuis mon accident. Je suis cloué en Angleterre, alors, qu'autrefois je trouvais tellement excitant de voyager, de quitter ce pays. Je suis content d'être anglais mais je n'aime pas vivre en Angleterre. Les Anglais disent souvent : « Nous n 'avons pas d'idéologie, nous sommes anglais, c'est tout ! » Cela me gêne et je me sens frustré, dans un sens. Bien sûr. ce n'est pas complètement négatif car musicalement ça crée une pression, mais tout de même, j'éprouve une sorte de malaise. Peut-être as-tu une image de moi très placide, ici, chez moi, mais ce n 'est pas comme ça, tu sais....


Tu ne te déplaces jamais, même pour quelques jours ?
C'est difficile. Récemment j'ai été travailler une semaine en Italie, pour un programme de radio, et ça s'est bien passé. Mais partir en tournée, même pour un ou deux concerts, ça je n'y pense même pas. Tout ce que j'avais autrefois, un groupe, des instruments, un répertoire, un manager, des road-managers, c'est fini. Tout ce qui me reste c'est un micro et un magnéto à cassettes pour noter quelques idées. Et partir en tournée me coûterait trop cher, je devrais emprunter de l'argent, c'est impossible.


Tu vis de ta musique en ce moment ?
Entre les peintures de ma femme et ma musique on s'en sort généralement. C'est parfois difficile, mais vraiment je ne vois pas d'autre solution.


Comment en es-tu arrivé à signer avec Rough Trade ?
Tout s'est passé grâce à Vivien Goldman. Brian Eno nous avait présentés au vernissage d'une exposition de Peter Schmidt il y a quelques années, et nous avons sympathisé. Elle vient souvent chez moi, et m'apporte quelques disques de reggae qui viennent de sortir. C'est elle qui m'a présenté à Geoff Travis, l'un des dirigeants de Rough Trade, qui m'a proposé d'enregistrer. Je ne comprends rien aux contrats, mais ma femme qui s'en occupe pour moi m'a dit que les conditions étaient bonnes. Ce qui m'a beaucoup séduit chez Rough Trade, c'est qu'ils ont contribué à remettre les « singles » à la mode. J'aime cette méthode de travail : deux chansons, ça suffit, on peut sortir un disque, cela me convient parfaitement. Je n'ai pas besoin de penser à toute une suite de morceaux, à ce « design » du 33 tours. L'idée de liberté à laquelle on pense généralement en faisant un 33 tours est fausse, car on rejette des morceaux qui soi-disant ne collent pas avec le reste, et ensuite on les oublie ou ils se perdent. Je me rappelle de « Ruth & Richard », il y avait des gens qui me disaient que « Muddy Mouth » n 'allait pas avec le « Sonia » de Mongezi Feza, par exemple. Qu 'est ce que tu veux répondre à ça ! ! !


Avec tes deux premiers disques en solo, tu as eu ce genre de problèmes ?

Pour « The End Of An Ear », d'abord ? Non. mais l'atmosphère dans laquelle j'ai fait « The End Of An Ear » était très particulière. Après l'album « Third» de Soft Machine, j'étais déprimé. Ni Mike Ratledge ni Hugh n'avaient aimé « Moon In June », et j'avais presque été obligé de les forcer pour qu 'ils acceptent de jouer dessus ! Ce qui n 'était pas très honnête, car moi j'avais fait de mon mieux pour « rentrer » dans leurs morceaux à eux. E tpuis, quand j'ai eu l'idée de « The End Of An Ear », C.B.S, m'a laissé faire en croyant que ce serait le même style de musique que «Moon In lune», justement.... Déjà avant de rentrer en studio, les deux faces étaient dans ma tête : ces choses répétitives, les imitations de free-jazz, cette espèce de « proto-dub ».... Mais pour l'enregistrement, j'ai été très seul, car aucun des musiciens n 'a vraiment aimé la musique, et il n'y avait personne pour m'encourager. Là aussi, j'aurais voulu travailler avec Mongezi Feza, mais ça n 'a pas été possible et j'ai finalement enregistré avec Elton Dean et Mark Charig principalement, plus mon frère Mark avec qui j'ai partagé les parties de piano. Je me souviens, ça m'avait fait beaucoup de bien de jouer du piano sur ce disque, parce qu'en public je n'aurais jamais osé..... /


Et « Rock Bottom » ?
Là. c'était tout à fait autre chose, six thèmes autour des mêmes idées avec donc une certaine unité. Beaucoup ne le savent pas, mais le gros de « Rock Bottom » a été écrit avant mon accident, à l'époque où je voulais recommencer Matching Mole avec Phil Miller, Gary Windo et Francis Monkman.


Donc, tu ne penses pas du tout à un 33 tours ?

En fait, il y en a un que j'aurais aimé faire, mais quelqu'un vient de le faire à ma place.... Je l'aurais appelé «Continental Drift », et il aurait été rempli de références à des musiques de danses d'Europe continentale, ce genre de choses. Oui. j'y pensais depuis plusieurs années, et voilà que Fred Frith a fait « Gravity ». sur Ralph Records. « Gravity » est basé sur cette même idée, c 'est un très bon disque, et j'ai donc abandonné ce projet. Tu sais, faire un album, pour moi, cela n'a plus tellement de sens. Dans la musique rock, je suis un vieux, comme tous ceux qui ont plus de trente ans ! J'ai déjà derrière moi une vie entière de musicien, et faire des disques a un peu perdu le côté excitant d'autrefois.... Mais, album ou pas, disons que, euh......je réagirai aux circonstances, voilà tout ! En ce moment, j'ai des projets spécifiques : une chanson, une autre, c'est tout. J'ai toujours aimé les chansons simples, comme à l'époque où j'avais repris « l'm A Believer « et « Yesterday Man ». Cette idée de chansons simples était aussi un goût que David Sinclair et moi partagions quand nous avons commencé Matching Mole.


Pourtant, il n'est pas resté longtemps dans le groupe....
C'est à dire... Il aimait les chansons simples, oui. le style des jolies mélodies comme « Caroline », mais Il ne se sentait pas du tout à l'aise dans le contexte de l'improvisation. Quand Dave Mc Rae l'a remplacé, les choses se sont arrangées de ce côté-là. Dave Mc Rae a toujours été un musicien très habile, et qui aime tout essayer.


Parlons de cette série de « singles ». Comment as-tu choisi les morceaux ?
Je ne veux pas trop en parler, cela paraîtrait prétentieux. Je suis avant tout un musicien, ce qui me plaît c'est l'élégance d'une ligne mélodique, une partie de basse pour la soutenir, c'est déjà beaucoup...


Tu es content du résultat ?
Non, cela aurait dû être mieux, mais j'ai été limité par le temps. Je n 'ai toujours pas trouvé une manière efficace de travailler en studio, je veux dire une façon « relax », qui me permette d'obtenir exactement ce que je veux. Dans un sens, bien sûr, je suis content, car j'ai atteint mon but de départ, qui était d'enregistrer une série de chansons. Mais si j'avais eu davantage de temps j'aurais pu dépasser ce stade. J'ai tout fait sans répétitions, car j'ai joué moi-même presque tous les instruments. Il y a juste Bill Mc Cormick qui joue de la base sur « Arauco » et « Caimanera ». Harry Beckett qui est au Flugelhorn sur « Caimanera », et un contrebassiste, Peter Ind, dans « Born Again Cretin ». En fait, je vois ces chansons comme des esquisses, un peu.


Sur « Arauco » et « Caimanera » tu chantes en espagnol...
Oh, mon espagnol n 'est pas très bon, pas assez en tout cas pour traduire un texte directement en anglais. Donc, je préfère le chanter en espagnol. Et puis, j'aime les intonations de cette langue....


En écoutant tes nouvelles chansons, on voit tout de suite que tes obsessions sont essentiellement politiques....
Sûr. Mais on peut aussi les écouter sans faire attention aux textes, juste pour elles-mêmes. On peut aussi, évidemment, ne pas les écouter du tout !


Tu ne cherches donc pas à faire passer un message ?
Non. Je ne peux pas et je ne veux pas dicter aux gens ce qu'ils doivent sentir. Mais c'est faux de dire que la conscience politique déforme l'art. Un artiste doit utiliser tout ce qu'il possède, sa conscience politique, son conscient, son inconscient, tout. Si j'étais compositeur de musique uniquement, ou peintre abstrait, ce serait autre chose. Mais puisque l'univers des mots est un élément de mon travail, je me sers des mots et de leurs significations. Les mots, de toute façon, veulent toujours dire quelque chose. Et d'ailleurs, cela m'a beaucoup intéressé de jouer sur la signification des chansons: par exemple, quand je reprends «Arauco» de Violetta Parra. la fonction d'origine de la chanson change complètement. Cet aspect des choses est passionnant.


De quand date ton engagement politique ?
C'est un sentiment que j'ai toujours éprouvé, je crois, mais qui a refait surface il y a quelque temps comme une priorité. Mes parents étaient travaillistes, ça a peut-être joué aussi.... Mais en d'autres termes, euh.... Tiens, je vais te raconter une anecdote. Mark Boyle, qui s'occupait autrefois du light-show de Soft Machine, est devenu peintre et sculpteur. Il y a quelques mois, il a acheté deux peintures qu'il ne trouvait pas bonnes, uniquement parce qu'elles étaient l'œuvre d'un peintre actuellement emprisonné en Russie. Il les a accrochées chez lui, pour se rappeler que lui est heureux, qu'il n 'est pas en prison, et qu 'il est libre. Voilà un très bon exemple de l'aspect transcendant de l'art : que ces peintures soient bonnes ou mauvaises, elles ont une signification au-delà du jugement esthétique. Et leur impact politique est évident. Le plus curieux, c'est que si le peintre en question, lui, connaissait cette histoire, il se sentirait sans doute encore plus rejeté....


Tu es donc devenu membre du Parti Communiste....
Oui, il y a deux ans et demi. En Angleterre, le Parti Communiste est un tout petit parti, plus proche idéologiquement du Parti Communiste Italien, par exemple, que du Parti Communiste Français.


Qu'est-ce que cela t'a apporté ?
Avant tout une ouverture. C'est curieux, en général le fait d'adhérer à un parti a une connotation de peur, de blocage. Là. j'ai eu exactement le sentiment inverse. Je suis devenu ultra-conscient de certaines contradictions, et cela m'a beaucoup stimulé. Et puis, j'ai énormément appris de choses en rencontrant des gens en dehors du milieu de la rock-music, qui est un monde très narcissique, qui tourne sans arrêt sur lui-même, et où les gens réfèrent tout à leur imagination, à leurs fantasmes. Je ne porte pas de jugement, mais en ce qui me concerne ce changement a été très bénéfique.


Penses-tu rester toute ta vie inscrit à ce parti ?
Je ne crois pas que je pourrais raisonnablement quitter le Parti Communiste, pour la seule raison qu'être ex-communiste me semble bien plus présomptueux qu 'être communiste !




Irais-tu jusqu'à convaincre tes amis pour qu'ils soient aussi au Parti Communiste ?
J'espère que non ! A ce stade je serais une sorte de religieux fanatique.... Mais c'est curieux, car justement ma propre adhésion au communisme a été un peu comme une conversion religieuse. L'évèque Romero aurait compris ça, et les « Rastafarians », eux, comprendraient certainement. Récemment j'ai eu une longue conversation avec un ami italien de Naples qui a une position très proche de la mienne : il me disait qu'il ne voit pas le communisme comme un but. mais plutôt comme une base de départ, un point de ralliement. Mais c'est vrai qu'il se passe des choses incompréhensibles, comme par exemple la position des communistes français sur l'Afghanistan. C'est pour me moquer de ce genre de gens que j'ai enregistré « Staling Wasn 't Stalling ». Certaines choses sont évidentes pour moi : je suis à la lois contre ce qui se passe en Afghanistan et en Afrique du Sud. Et tout le monde parle de l'Afghanistan, mais qui connaît par exemple Nelson Mandala. un leader noir qui est en prison en Afrique du Sud depuis plusieurs années.... ?



Et le lien entre ton engagement et ta musique ?
Mon inspiration de base a toujours été la musique noire. Comme toutes les musiques, la musique noire a besoin d'une certaine ambiance pour s'épanouir. Et quand on est Noir, ici en Angleterre, crois-moi ce n 'est pas facile. Je peux t'en parler très précisément car j'ai été très touché par la mort de Mongezi Feza. Mongezi, dans sa naïveté, croyait qu'il échapperait aux horreurs de l'Afrique du Sud en venant vivre dans ce qu 'on appelle « le monde libre ». Et il est mort, à 31 ans, dans un hôpital psychiatrique, considéré comme schizophrène... Nos pays occidentaux sont remplis de ces sortes de choses, et beaucoup de gens viennent ici en pensant être libres, comme Mongezi... Et c'était un trompettiste fabuleux ! Tu ne peux pas savoir comme je suis triste et en colère de ce qui lui est arrivé. Et quelquefois je me dis que toute ma vie, d'une certaine manière, je continuerai à expier pour lui. Tu sais, je ne vois rien d'autre à dire sur ce sujet sans que cela paraisse sentimental ou stupide.


Quels genres de musiques écoutes-tu ?
Un peu de tout. D'abord, quand je travaille avec des musiciens, j'écoute ce qu 'ils ont fait. Aujourd'hui Chris Lavalle, de Birmingham, hier Scritti Politti, demain je ne sais pas. Mais en général, je ne suis pas très au courant de ce qui se passe, en dehors des disques de reggae que Vivien m'apporte.


Tu aimes le reggae ?
Oh oui. beaucoup, et je suis convaincu que c'est une des choses les plus importantes de ces derniers temps au niveau musical, la plus stimulante en tout cas de la fin des années soixante-dix. En Angleterre, toute l'énergie du nouveau rock vient du reggae et de la culture qui l'accompagne. Même le punk, tout à fait opposé au niveau du style, est en partie une réponse au reggae. Ce qui me frappe aussi, c'est que les Jamaïcains ont imposé leur musique sans l'aide des média, comme tout ce qui va autour : leur façon d'enregistrer, de parler, de s'habiller, etc. Le phénomène était tellement fort que le rock avait besoin d'une alternative : ça a été le punk. Et si tu prends un groupe comme Basement Five, eux ils répondent au punk en faisant une sorte de reggae punk. C'est un échange musical continu. Sinon, en dehors du reggae, j'écoute de la musique européenne contemporaine, du jazz, très peu de rock, et de la musique ethnique, grâce à ma radio à ondes courtes.


Tu découvres des stations mystérieuses ?
Oui. j'adore me mettre devant ma radio et chercher des postes - de pays lointains. Récemment j'ai trouvé une radio de Lituanie, et Radio-Vietnam, que j'écoute tous les soirs en ce moment, le programme en anglais de 18 heures à 19 heures, et celui en français de 19 heures à 20 heures. J'écoute aussi la radio iranienne où il y a des musiques fabuleuses. J'aime essayer de retracer les filiations musicales, par exemple les influences de la musique iranienne sur les musiques arabes et turques, les ressemblances entre les musiques d'Afrique du Nord et d'Espagne. L'autre jour, j'ai étudié un peu comme ça l'évolution des gammes entre la Chine, le Japon, et le Vietnam. C'est passionnant.


Et les livres ? Tu lis beaucoup ?
Oui. pas mal. J'ai relu récemment des choses de Roland Barthes. Je sais qu 'un livre comme « Mythologies » est un peu démodé aujourd'hui en France, mais je suis convaincu qu'il s'agit d'un ouvrage très très important. Je lis aussi les livres d'Aimé Césaire en ce moment, ils m aident à comprendre certains problèmes politiques, toute la question de la négritude.


J'ai l'impression que ta n'aimes pas beaucoup les interviews...

Non, pas tellement..... Mais, euh...... lorsque les gens me demandent j'ai du mal à refuser, j'essaye de faire de mon mieux mais j'ai de plus en plus de mal à trouver les mots pour dire ce que je sens réellement. Et j'ai l'impression que les choses que je dis n 'ont aucun sens...


Parce que tu es un perfectionniste ?
Oh, c'est davantage une question de moment. Le plus bizarre, c'est lorsque je lis les interviews une fois qu'elles sont publiées, après. Je trouve les bonnes réponses en relisant les questions, comme si tout l'interview n'avait été qu'une suite d'occasions ratées..:. C'est fou. non ?