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 Plus c'est communiste, plus c'est pop - Rock & Folk - N° 607 - mars 2018





Réhab'
PAR BENOIT SABATIER

Ignorés ou injuriés à leur sortie, certains albums méritent une bonne réhabilitation. Méconnus au bataillon ?
Place à la défense.

Plus c'est communiste,
plus c'est pop


Robert Wyatt


"OLD ROTTENHAT"

Rough Trade

Robert Christgau, du Village Voice, qualifie "Old Rottenhat" de "musique ingrate". S'il déteste cet album, c'est surtout pour les prises de position de Wyatt, reprochant à l'anglais de traiter les Etats-Unis "d'empire aryen", accusant le barbu de complaisance et démagogie. "Ne prêchez pas les convertis avant d'en avoir converti plus encore." L'artiste se défend comme il peut. "Old Rottenhat" ? "Une tentative consciente de faire de la musique inutilisable." C'est à dire : non récupérable par les ennemis du peuple. Toujours acclamé, Wyatt se retrouve avec "Old Rottenhat" sur le banc des accusés : mais qu'est-il venu faire dans cette galère artistico-politicienne ?

En 1974, suite à une défenestration qui le condamne à vivre sur une chaise roulante, l'ex-batteur de Soft Machine sort "Rock Bottom", immédiatement catalogué comme un chef-d'œuvre du 20ème siècle. "Ruth Is Stranger Than Richard"' (1975), pourtant pénible, entérine son statut de génie romantique. Et puis Robert Wyatt disparaît. Enfermé avec sa femme Alfie dans la jolie maison que leur a offert leur amie Julie Christie, il se désole de la fin des utopies, fulmine contre la marche du monde, décide finalement de prendre sa carte au Parti Communiste. Au sein de Soft Machine et Matching Mole, le batteur n'était pas un élément politisé, mais un fêtard bourré, un excentrique chaud-lapin. Bambocheur, puis poète, place à la troisième mue : artiste engagé. Il quitte Virgin et son capitaliste de patron. Richard Branson, pour signer sur Rough Trade, coopérative où tout le monde touche le même salaire.



Geoff Travis, le connecte à la scène postpunk. The Raincoats, Vivien Goldman, Epie Soundtracks, Scritti Politti, Ben Watt et, en 1980, Wyatt se sent de nouveau prêt à enregistrer ses propres disques. Problème : il n'a aucune compo sous le coude. Il va donc chanter des reprises : d'un révolutionnaire chilien, du ménestrel de Castro, de Chic (écrite quand Nile Rodgers était Black Panther). de l'obscur "Stalin Wasn't Stalling" (pour corriger l'image négative du bourreau)... Quatre singles compilés sur "Nothing Can Stop Us", disque qui contient en plus une version de l'hymne socialiste "Red Flag". Costello et Clive Langer lui offrent un autre morceau, "Shipbuilding" (contre la guerre des Malouines), Wyatt en profitant pour aussi reprendre le "Biko" de Peter Gabriel (en mémoire du militant sud-africain Steve Biko). Et puis quand même, pour défendre la cause des mineurs en grève, il écrit enfin un inédit, "The Age Of Self', dont les bénéfices sont reversés au Miners Hardship Fund. Le NME en fait son Single of the Week, et il y a de quoi : musicalement, le morceau montre un Wyatt au top, avec une mélodie sautillante, accrocheuse, magnétisante, sur un texte toujours politique ("Ils disent que la classe ouvrière est morte/Maintenant nous sommes tous des consommateurs"). Son engagement communiste lui procurant une fantastique inspiration musicale, il ne s'arrête pas en si bon chemin : neuf autres chansons sont créées pour "Old Rottenhat".

Encore plus démiurge que pour "Rock Bottom", Wyatt compose, chante, joue de chaque instrument. Geoff Travis : "Robert disait que ça faisait partie du Front de libération des paraplégiques : tout faire soi-même, prouver qu'on ne dépend de personne." Dédié à Bettaney, agent du MI5 accusé de bosser pour les soviets, l'album enchaîne les minibombes : "The Age Of Self, "East Timor". "The British Road". "Alliance", chacune dénonçant les injustices mondiales — "PLA" (Poor Little Alfie, dédié à sa femme), le seul titre non-politique, est tout aussi déchirant. Militantisme triste et minimalisme engagé : l'album le plus pop du barbu, celui où ses aspirations jazz se font le plus discrètes. Principalement composées sur un synthé bon marché, la moitié des chansons font moins de trois minutes. Bienfait du communisme : rendre sa musique plus directe. Face aux retours mitigés, l'artiste entre dans une nouvelle retraite, alors que le mur tombe, que s'effondre le bloc soviétique. Wyatt cesse d'adhérer au PC et déclare : "A la question : 'Pensez-vous avoir commis des erreurs en ayant inclus des anachronismes dans vos chansons politiques ?', ma réponse est : J'espère.' "

II sombre dans une grosse dépression. Alfie : "Robert a essayé de suivre une thérapie, mais c'était un désastre. Il s'est mis à pleurer souvent." II faudra attendre la fin des années 90 et ses trois derniers albums pour que Wyatt soit de nouveau traité de génie. Un mot a alors fait son apparition : wyatter. Signification : choisir des musiques compliquées dans le jukebox du pub pour faire fuir les consommateurs. Alfie : "Ce n'est pas sa faute si une partie de sa musique peut être difficile à comprendre. Robert ne l'impose à personne. Il apprécie tellement les qualités de la musique pop. "

On l'entend dans "Old Rottenhat". Avec cet album, le pub se remplit (de staliniens).

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Première parution : novembre 1985


 

       
     
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