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 Les soirées culturelles du Palais des Sports - Le Pop - N° 11 - mai 1971


LES SOIRÉES CULTURELLES DU PALAIS DES SPORTS




LA POP SANS FLIC, C'EST COMME UN HOT-DOG SANS MOUTARDE, UN SNACK-BAR SANS CAISSIER, UNE CAISSE DE BIERE SANS DECAPSULEUR, UN POTAGER SANS TOPINAMBOURS, UNE FAMILLE SANS IDIOT, UN JOUR D'ÉTÉ SANS AMBRE SOLAIRE, UN CADRAN SOLAIRE SANS OMBRE, ET Y'A PAS DE BEAUX TABLEAUX SANS OMBRE...


Pour Soft Machine on avait eu des entrées gratuites. En arrivant au Palais des Sports on a eu bien du mal à trouver un ouvreur pour les lui présenter. Lorsque nous en eûmes dégagé un de dessous des gravats, ll a éclaté en sanglots en nous disant que nos petits cartons on pouvait se les carrer dans le fion. Ce après quoi, entre deux spasmes, il les prit quand même, les sala, les moutarda avec les ingrédients qui passaient à sa portée et les avala d'un coup, d'un seul, faute de dents. C'est fou ce que les gens étaient nerveux ce soir-là. Heureusement que du côté de l'organisation ils avaient tout prévu et qu'ils avaient retiré les portes pour que les gens puissent pénétrer sans accrocs. A l'intérieur les gens trépignaient, on ne savait pas pourquoi, ils avaient tous un air de connivence, un léger sourire sur leurs lèvres purpurines. Alors que des gens entraient encore en masse sans mène présenter leurs billets au contrôle, tant ils étaient pressés de se lubrifier les oreilles à coups de pop, alors que d'autres cherchaient encore leurs places dans les piles de sièges entassés au milieu de la salle, de joyeux plaisantins firent partir une grenade lacrymogène dans un fou rire général. Quelques centaines de personnes démunies d'humour essayèrent de sortir, au risque de se retrouver dehors sans ticket de sortie. Vrai, ils étaient bizarres ce soir-là. Un rien excités, aussi.


Pourtant malgré l'anarchie (passez moi l'expression) apparente des comportements collectifs, l'observateur attentif aurait pu remarquer qu'une certaine solidarité semblait unir les membres de l'assistance. C'est ainsi qu'à un moment donné un jeune hirsute vint au micro dire que le service d'ordre éprouvait quelques difficultés à l'entrée, à gauche de la scène, qu'il n'arrivait pas à contrôler toutes les entrées. Des spectateurs bénévoles vinrent aider à cette formalité et relevèrent les gardiens en les attrapant qui par la main, qui par le nez, qui par le mollet avec les dents. Et tout naturellement l'entrée des nouveaux arrivants devint fluide, fluide, fluide. C’est à ce moment-là que les organisateurs, estimèrent sans doute qu'ils avalent fait assez de recettes, décrétèrent l'entrée libre, au risque d'ailleurs de mécontenter les quelques 2 ou 3 personnes qui avalent payé d'avance. Admirons en passant la sagesse des organisateurs qui mirent ainsi un terme à la triste notion de resquille.




Puis y'a des gens qui sont venus causer dans la sono: "Ce soir la musique Pop nous est rendue, elle nous appartient et nous ne nous en dessaisirons plus" c'est sûrement à cause de ça que tout le monde brandissait son poing, pour montrer qu'ils ne la lâcheraient plus. On était tendus mais heureux. Allez savoir pourquoi! Sur scène le spectacle commençait déjà, un jeune comédien déclamait des vers de circonstance : "Hé Lulu, tu viens merde, j'suis à droite de la scène, j'vais pas poireauter comme ça longtemps", un type très très excité réclamait du calme, un autre expliquait un jeu de société qu'il avait trouvé :"Dans ma banlieue, tous les mecs qu'ont des cheveux longs y s'font poisser à longueur de temps par les flics, y s'font tabasser la gueule, «alors nous on a décidé un truc, c'est qu'à chaque fois qu'un mec aura des ennuis avec les cognes on s'arrangera pour que ça fasse dix flics bons pour l'hosto, alors on vous conseille un truc c'est que tout le monde en fasse autant pour que les mecs à cheveux longs ne soient plus traités de pédés".

Puis Didier Malherbe empoigna son mirliton et dans le plus pur style free accompagna les harangues des représentants du Front de Libération des Jeunes. Entre deux chorus on a réussi à comprendre que les jeunes étaient décidés à ne plus se laisser marcher sur les pieds, à reprendre ce qui leur appartient, à mettre en pratique les valeurs qui sont les leurs, sans marcher dans une logique qui leur soit étrangère. Le reste de la soirée s'est effectivement passé en l'absence de toute logique aux yeux d'un observateur non directement concerné. Pour nous logique de l'événement c'est qu'au point de consommation où nous en sommes, les jeunes ont besoin de briser des portes et de dévaliser des buffets pour se faire leur fête. C'est donc que le système de distribution de la PoP est complètement suranné, hors d' usage, que la musique PoP n'a pas encore trouvé son vrai terrain d'expression, que le public PoP est déjà allé bien au-delà de ce qui lui est proposé et que c'est à la musique PoP de suivre ce mouvement.



Plus que les sièges et les portes il y a eu quelque chose de cassé au Palais des Sports et y'a gros à parier, puisque ça dépend de nous, que cette cassure ne nous privera pas pour autant de notre musique. Si plus personne ne peut louer de salles pour les concerts PoP c'est que leur place est ailleurs, dans la rue peut-être. S'il y a une contradiction entre la quantité de matériel nécessitée par la PoP et sa prestation dans la rue, c'est que les musiciens PoP se sont fourvoyés en faisant la course au matériel, c'est que les musiciens doivent adapter leur musique aux nouvelles conditions. Ceux qui ont pleuré l'autre soir de ne pas avoir entendu leurs petits Soft chéris, sont déjà inutilisables pour l'évolution de la PoP, un frein à son contenu révolutionnaire.

Les amateurs de PoP se sont chassés délibérément eux-mêmes du Palais des Sports en faisant éclater leur fête, c'était la première mesure d'hygiène qu'il fallait prendre. La musique PoP ne doit pas être une musique de consommation et c'est pour ça qu'au Palais des Sports tout a été consommé, sur place et sans permission.

Beaucoup moins significative fut, dans et surtout autour du même Palais des Sports, la rencontre ORDRE-NOUVEAU-GAUCHISTES. S'il y avait un événement auquel il fallait éviter de donner de l'importance c'était bien ce meeting d'Ordre Nouveau. Oui, oui, bien sûr, pourquoi en parler nous aussi ? eh ben puisque le mal est fait c'est pas une demi-colonne mal torchée qui va aggraver l'histoire. La connerie commence là où les gauchistes ont afflué exactement comme l'espéraient les organisateurs dudit meeting. C'est évident non? les fascistes prévoyaient un rassemblement de l0.000 personnes (bluff légitime) qu'ils n'auraient naturellement pas eu si une foule de gauchos et affiliés n'était venue grossir démesurément l'événement. C'était exactement le remue-ménage (qu'il ne pouvait créer à eux seuls) et l'épreuve de force (qui est le moteur de leur propagande) qu'ils recherchaient. Moralité de l'événement: sur les ondes, dans la presse, on ne lésine pas sur la violence de l'affrontement et le gauchiste moyen est magnifié par l'ensemble de l'opinion modérée (récupération?), tout le monde retrouve cette bonne vieille solidarité nationale contre l'envahisseur para-teutonique (nique?), cette vieille unité de pensée où s'abritait Pétain, tout le monde marche à fond dans le jeu de la terreur, autant de conneries qui permettent de faire des distinctions aussi délicieuses que celles sur le fascisme de Marcellin comme quoi il serait bien un homme d'ordre mais tout de même pas d'ordre fasciste.



Mais quoi, merde! qu'est ce qui est le plus dangereux, le fasciste qui se réfère ouvertement et sans équivoque à Hitler, à Mussolini, au Haine PéDé, au PFI ou le fasciste foncier qui réinvente ses méthodes, utilise des institutions dites démocratiques pour nous faire vivre dans un Dachau confortable. Lutter contre les fafs dans une bataille de rue c'est aussi con et aussi réac que pour un révolutionnaire de briguer un siège dans une assemblée, c'est rentrer jusqu' a la garde dans un circuit dont on ne peut être que les baisés. Quant aux gauchistes qui deviennent aux yeux de l'opinion des braves gosses pour avoir reçu une dégelée de la part des deux forces fascistes ce sont les grands empaffés de l' histoire. Ils sont aussi connards que leurs pères et grands-pères qui partirent se faire ensanglanter la gueule sur les fronts de la première et deuxième guerre avec la bénédiction des familles, des curés et des patrons. Ce qui botte dans les chaumières c'est ce relent de vieille lutte, c'est cet avant-goût de troisième guerre mondiale à la manière des deux premières. Cette punition tant souhaitée à ces jeunes qui ne respectent plus rien et qui n'ont plus qu'une idée en tête: VIVRE. Le monde où ils pourront vivre ces jeunes, c'est pas les "bons" gauchistes qui le feront, c'est pas non plus avec l'aide des "braves" flics, ni avec ceux qui se font craindre (flics de Marcellin ou flics de Duprat), c'est avec ceux qui auront choisi de se faire leur monde plutôt que de se faire aimer ou détester. Vrai, des deux fêtes du Palais des Sports c'est certainement celle qui a atteint l'opinion dans son porte-feuille et dans son bon sens qui a été la mieux réussie et qui présage le plus sûrement de ce que sera le nouveau monde.


       
     
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