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Robert Wyatt : l'interview - lesinrocks.com - 26 octobre
2009
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Fêté
par l'Orchestre National de Jazz dans un album hommage
qui va donner lieu à un concert parisien ce soir lundi
26 octobre au Théâtre Marigny, Robert Wyatt goûte
avec plaisir à la reconnaissance dont il est aujourd'hui
l'objet.
Entretien. |
Comment avez-vous réagi quand
Daniel Yvinec, le directeur de l'Orchestre National de Jazz,
vous a fait part de son projet Around Robert Wyatt ?
Pour être franc, je ne lui ai pas été
d'une grande aide ! Sa proposition est arrivée à
un moment un peu difficile pour ma femme et moi, car nous
étions tous deux confrontés à des problèmes
de santé. Daniel m'a simplement demandé de
chanter sur quelques morceaux, et je me suis exécuté,
mais pas de manière très professionnelle -
je suis un peu embarrassé par ma contribution vocale,
qui selon moi ne sonne pas aussi bien que le reste du disque.
Ensuite, les arrangements ont été construits
à partir de mes pistes de chant, et le résultat
m'a tout simplement bluffé. Certains morceaux m'ont
vraiment surpris, certains m'ont laissé un peu interdit
! Je veux rendre ici un vibrant hommage à l'arrangeur (Vincent Artaud), aux musiciens de l'ONJ et à
tous les chanteurs et chanteuses qui ont participé
à ce projet.
Le disque propose effectivement des reprises de vos chansons
par des femmes (Rokia Traoré, Yael Naïm, Camille
et Irène Jacob) et des hommes (Daniel Darc et Arno).
Quel regard portez-vous sur leurs interprétations
?
J'ai été frappé par une chose assez
amusante. Les deux intervenants masculins ont une approche
vocale radicalement différente de la mienne, ce qui
est une riche idée : je trouve ces contrastes très
intéressants. En revanche, les femmes semblent davantage
chanter depuis l'endroit où, moi, j'ai aussi l'habitude
de chanter, il y a une vraie connivence
Il faut croire
que ma part féminine s'exprime pleinement lorsque
je fais de la musique.
A travers ce projet, vous avez donc appris des choses sur
votre musique.
Elle est en fait aussi simple que la musique que
peuvent produire des enfants : ce ne sont que des notes,
des mots, des mélodies, quelques accords que j'aime
bien
Mais ma façon de la jouer ne représente
qu'une facette de ce qu'elle est vraiment. J'ai toujours
su qu'elle était ouverte, qu'elle pouvait se prêter
à d'autres inteprétations. Il y a eu déjà
eu dans le passé des relectures très belles
de mes chansons, que ce soit par John Greaves ou par Soupsongs,
le groupe de mon amie tromboniste Annie Whitehead. Avec
le projet de l'ONJ, je les découvre encore sous un
nouveau jour. Je pense par exemple sincèrement que
la version de Shipbuilding (interprétée
par Yael Naïm) est supérieure à celle
que j'ai moi-même enregistrée.
Les chanteurs qui participent à ce disque viennent
d'horizons très différents. Est-ce particulièrement
gratifiant ?
C'est extraordinaire, en effet. A mes yeux, leurs versions
de mes chansons sont comme mes petits-enfants : elles existent
de manière autonome, et en même temps je peux
me reconnaître un peu en elles. C'est un sentiment
magnifique.
Êtes-vous surpris de voir que vos chansons font aujourd'hui
partie d'un patrimoine, d'une histoire ?
Toute personne qui travaille depuis quarante ans fait partie,
qu'il le veuille ou non, de l'histoire
Mais en réalité,
je ne conçois pas les choses sous cet angle. J'écris
des chansons, je suis un musicien qui fait son boulot dans
son coin. Je ne sais pas comment ma musique vit en dehors
de chez moi, si elle résonne ou pas dans l'histoire.
Vous savez, je vis dans un petit monde, un monde très
intime. En tant que journaliste, j'imagine que vous gardez
un il sur tout ce qui se passe, que vous vous intéressez
à la façon dont les choses évoluent.
En tant que musicien, je n'ai pas une vision aussi large,
je ne m'intéresse qu'à ce que je fais sur
le moment, sans me projeter au-delà.
La notion de transmission n'est-elle pas importante à
vos yeux ?
Si, mais j'ai tellement l'impression qu'elle est le fruit
du hasard
Un jour, j'ai entendu un acteur anglais
déclarer ceci : "Tout ce que les gens peuvent
penser de moi ne me concerne pas". Je me sens proche
de cette idée-là. Je ne veux pas donner l'impression
d'être indifférent par rapport à ce
qui m'entoure ou à l'écho que reçoit
ma musique. Mais ma vie, mon métier, c'est de réaliser
des choses qui, à ma petite échelle, me semblent
justes. Je suppose que ça me rassure de considérer
les choses ainsi, ça donne une raison d'être
à ce que je produis.
Vous avez traversé des moments très difficiles
dans les années 80. Pouviez-vous imaginer alors que
votre travail, vingt ans plus tard, serait ainsi reconnu
?
Certainement pas. Dans les années 80, je me suis
retrouvé de plus en plus isolé, je vivais
comme un moine. J'étais plus dans l'activisme politique,
j'étais totalement déconnecté de la
scène musicale, même si j'aimais beaucoup par
exemple ce que produisait un label comme 2 Tone, l'esprit
honnête et simple qui l'animait. Mais je n'avais plus
rien à voir avec ce qui se passait dans le rock ou
la pop. Ma femme Alfie et moi étions comme sur une
coque de noix perdue au milieu de l'océan. Depuis,
nous avons heureusement eu la possibilité de retrouver
la terre ferme
Viendrez-vous assister au concert du théâtre
Marigny ?
Je ne voyage plus maintenant, à moins que mon travail
l'exige vraiment. Il faut bien comprendre qu'Alfie et moi
avons atteint la soixantaine et que tout est plus dur pour
nous maintenant. Je ne veux pas interrompre ma solitude.
Je travaille loin du grand monde, j'aspire à vivre
ainsi maintenant. Mais je suis très reconnaissant
envers Daniel Yvinec et l'ONJ. J'ai été épaté
d'entendre comment ces jeunes musiciens se sont appropriés
mes chansons, comment ils ont su insuffler leur propre inspiration
dans ma musique - notamment dans les passages improvisés,
qui sont splendides. Je crois à cette idée
que les jeunes ont tout intérêt à monter
sur les épaules de leurs aînés, non
seulement pour être aidés mais aussi pour aller
plus haut et faire mieux qu'eux. C'est exactement ce qui
se passe avec ce projet. Ce disque et ce concert prolongent
en les améliorant les gestes que j'ai moi-même
pu accomplir : c'est une expérience incomparable.
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