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Bob au taupe niveau - Guitares & claviers - N° 189 - octobre 1997






Dire que Robert Wyatt n'est pas un acteur de la scène musicale comme les autres relève du gentil euphémisme...
En lutte avec leurs démons jazzo- post psyché-progressifo-dadaïstes au sein de Soft Machine et de Matching Mole, le batteur de Bristol et ses amis arty ne vivaient guère la musique comme leurs confrères, laissant ainsi à Genesis, Jethro Tull et autres King Crimson, le soin de jouer avec leurs déguisements de trolls et autre quincaillerie tolkienienne à trois balles (tendance costumier du Gros Bazard de Michel Fugain).
Car le "rock" filtré par la grammaire de Canterbury apporta certes des instants magiques mais aussi, au fil des mois, un bon wagon de déchets 100% rock progressif.



Manque de chance ou véritable résurrection, au bout du chemin des excès "livrés" dans le kit de cette aube des 70's, le petit Robert, imbibé, passa par¬dessus un balcon pour atterrir quelques étages plus bas en pièces détachées. On connaît la suite. Définitivement exclu de toute chorégraphie breakdance, Wyatt compose le magistral et noir "Rock Bottom" sur son lit d'hôpital (juin 74). dévoilant enfin un visage fait de greffes de Pharoah Sanders. Coltrane, Billie Holiday. Stravinsky, musique orientale... Inclassable parmi les inclassables, Wyatt croisera, avant ou après ce fameux accident, Syd Barrett. Nick Mason, Hendrix (tournée U.S. commune pour Soft Machine et le Gaucher en 68), Robert Fripp, Fred Frith, Brian Eno, Elvis Costello ou Ryuichi Sakamoto, sortant occasionnellement un album solo. N'ayant jamais réussi à choisir son camp musical, il utilisera toujours son incroyable falsetto, des nappes de claviers atmosphériques et une conception de la batterie tout en nuance. Pour son nouvel album ("Shleep"), Robert Wyatt, un demi-siècle sous le bras, s'est entouré d'un casting guitaristique déconcertant : Phil Manzanera. Philip Catherine et Paul Weller.


Robert Wyatt : J'ai réalisé qu'en assemblant ces chansons, cela aboutirait à un album. Il me manquait juste l'essentiel : les gens avec qui le faire.

Jouer dans un groupe vous manque-t-il ?
Non. D'ailleurs, ça n'a jamais vraiment marché pour moi. Chaque œuvre demande un traitement à part entière. C'est pour ça que jouer en groupe m'a toujours posé problème. Tout le temps le même bassiste, le même guitariste, ça ne me convient pas.

Parce que vous avez toujours été à cheval entre les genres ?
Surtout, je me suis aperçu que je pouvais être plusieurs musiciens à moi tout seul (rire). J'étais batteur, je suis devenu chanteur, puis je me suis mis aux claviers et à la basse. Sur "Shleep". je suis presque un quartette à moi tout seul. Quatre qui sont loin d'être des virtuoses, mais qui s'entendent très bien (rire). Lorsque je compose, ça commence par une sensation harmonique. Ensuite, je place mes changements harmoniques, savoir si c'est majeur ou mineur, ou bien encore si il y a un changement d'accords.

Lorsque vous jouez de plusieurs instruments, cette méthode a un équivalent ?

Non. ça change d'un titre à l'autre. Je place d'abord les percus, les cymbales. Ensuite la base du clavier. Puis la voix provisoire. Enfin, je commence à travailler les textures, les solos... En général, le rôle de la basse est essentiel pour moi. Parfois, il m'arrive de l'avoir à l'esprit en même temps que la batterie. Dans ce cas, je vais chercher une sorte de fusion entre les deux. Mais il m'arrivera également de jouer la dualité basse/batterie.

"Shleep" est un album de rencontres...
Complètement. Lorsque j'invite quelqu'un pour jouer sur mon disque, je lui demande d'abord si il pense pouvoir intervenir sur la compo proposée. Vu que je ne le paye quasiment pas. je ne peux pas lui imposer mon diktat (rire). Je choisis l'invité pour sa personnalité, pas simplement pour prolonger la mienne. C'est ce que faisaient mes arrangeurs préférés. Ellington et Mingus. Ils cherchaient à intégrer le caractère des musiciens dans les arrangements qu'ils écrivaient.

On peut transposer ça sur "Shleep" ?
Par exemple, lorsque Phil Manzanera a commencé à travailler sur Alien. je lui ai demandé quels renseignements il voulait. Il m'a répondu : "ne me dis rien et fais-moi simplement écouter ce que tu as déjà enregistré"... Avec Paul Weller, c'était différent. Il voulait juste connaître les accords que j'avais joués au clavier. Il a pris son acoustique en jouant juste rythmique avec moi. Je lui ai fait comprendre qu'il pouvait en faire davantage sur les passages où je ne chantais pas. Sur Blues In Bob Minor. il m'a demandé des précisions, j'ai parlé de B.B. King et il s'est lancé. Il a fait deux prises et. en trafiquant ça. on les a intégrées ensemble. C'est pour ça qu'il y a deux solos de guitares. Sur Free Will And Testament, il a écouté dix fois ce que j'avais fait, il voulait connaître toutes les paroles. Il a embarqué la cassette et m'a appelé le soir en parlant d'ajouter une guitare slide... Paul est quelqu'un d'étonnant. Son entente avec Steve White, son batteur, a atteint une maturité vraiment jouissive.

Vous jouez toujours autant de claviers...
J'aime bien ça. Je prends ce qui me tombe sous la main. Un vieux truc de préférence. Si c'est écrit en japonais avec plein de boutons, ça me fait peur (rire). Pour la batterie, j'ai toujours mon kit de la période Matching Mole. Mitch Mitchell me l'avait donné. En studio, je ne me suis pas servi de la grosse caisse. Je joue avant tout avec les cymbales. J'ai conservé ça de l'époque où j'écoutais beaucoup de jazz. Tout le système jazz, la gestion du temps, le jeu en legato, etc. Il y a un côté venteux et brumeux qui convient davantage à mes chansons que l'idée classique qu'on se fait de la batterie dans le rock. Ma caisse claire Gretsch, mes cymbales et quelques tambourins me suffisent.

Vous jouez de la guitare de temps en temps ?
Je n'ai jamais vraiment compris cet instrument, même si j'en ai une chez moi pour travailler principalement les lignes de basse. Déjà, j'ai du mal à la tenir. Ça n'est pas un geste qui me vient naturellement. Je devrais essayer la guitare hawaïenne (rire).

C'est pour ça que vous avez embauché plusieurs guitaristes ?

C'est un disque inhabituel pour moi à cause de cela. L'ingénieur du son Jamie Johnson, a été fantastique avec moi. Il joue également de la guitare et compose un peu. Brian Eno qui a produit le premier titre, lui a demandé s'il pouvait en jouer. Le titre avec Philip Catherine avait été enregistré en Belgique il y a plusieurs années. J'y ai repensé et lui ai demandé si je pouvais m'en servir. En fait, j'ai utilisé sa piste rythmique. Il a collé quelques fioritures, j'ai ramerné la cassette chez moi et ajouté ma voix... Ensuite, il y a Phil Manzanera qui travaillait déjà dans le studio, c'est le sien (The Gallery dans le Chertsey). J'avais à l'esprit le son qui lui était propre sur Alien. Un son magistral, assez atmosphérique. Enfin, il y a le jeu de Paul Weller ne ressemblant à aucun des trois autres. A l'arrivée, les quatre ont conservé leur personnalité musicale.

Et le disque s'écoute d'une traite...
Parce qu'en restant eux-mêmes, ils sont obligés de jouer ma musique et de jouer avec moi (rire). Mais je voulais que chacun reste lui-même. Surtout que ne suis pas un familier de la culture guitaristique dans le rock. Le jazz a pris le dessus pour moi... J'adorais Emily Remler. L'école Charlie Christian est celle qui me touche le plus.

Et les impressionnistes comme Jim Hall ?
J'aime sa modestie. Il a joué sur des disques qui me sont chers. Comme ce qu'il a fait avec Jimmy Giuffre. Et puis il a joué des choses inhabituelles avec Sonny Rollins... J'adore aussi les guitaristes de flamenco.




Jeune, qu'est-ce qui vous retenait de ne pas aller à fond dans le jazz?
Je ne me suis jamais senti à l'aise avec les acteurs de la scène jazz. Surtout les Britanniques. Ils avaient un problème d'identité. Pire que les Français (rire). La contribution européenne à la musique noire américaine va de Bach aux compositeurs russes immigrés comme Irving Berlin ou Gershwin. Le développement harmonique né de la musique de Billy Strayhorn jusqu'aux pianistes modernes comme McCoy Tyner est proche de Ravel ou Debussy. Pas seulement rythmiquement mais en termes de palette harmonique. Et un certain nombre de jazzmen américains ont séjourné en France... Bref. l'Angleterre dans tout ça n'a jamais vraiment trouvé sa place dans le rapport Europe/États-Unis. Et puis il y a une trop grande partie de moi qui n'est pas entièrement jazz. J'ai grandi avec la chanson. Des choses musicalement simples éloignées de la musique instrumentale. Cette tradition folk de conserver une simplicité est un élément clef dans la musique. Lorsque je travaille mes chansons, je veux garder ça à l'esprit. La musique doit être au service de la chanson. C'est pour ça que Dylan est quelqu'un de très important pour moi. Et c'est justement tout sauf un vrtuose... La musique qui me traverse l'esprit n'est pas UNIQUEMENT du jazz. Et ne l'a jamais été. C'est autre chose. Il y a des composantes de traditions diverses. En même temps ça n'a pas de tradition à part entière...

Comme Glenn Gould qui n'avait pas seulement Bach à l'esprit lorsqu'il jouait Bach. C'était presque autant Bach que lui...
Complètement. C'est étonnant la façon dont il jouait Bach. Comme si cette musique était encore toute chaude, sortie du cerveau du compositeur... Dans "Shleep", j'emprunte des instants à Don Cherry. B Higgins. Charlie Haden.

Quel regard portez-vous sur les 60's ? Les gens avec qui vous avez joué comme Barrett. ceux que vous avez croisés comme Hendrix...
Je ne veux même pas y repenser. Je n'ai jamais été à ma place, ni été avec les bonnes personnes... Je me sens comme un soldat de la Guerre de 14 qui n'a pas envie d'en parler (sourire). Ma vie musicale dans ma tête se déroule de ma jeunesse à 62 et de 72 à aujourd'hui. Entre, il n'y a rien d'intéressant, sauf la naissance de mon fils en 66.

Votre participation à "Madcap Laughs" de Barrett fut assez étrange...
On est allé chez lui. il nous a passé les bandes qu'il avait déjà réalisées. On a commencé à répéter pour se familiariser avec ses compos. On lui demandait quels étaient les accords et il répondait "oui. oui" ou bien "ah. très drôle" (sourire). Quand on est passé à la répète suivante, il nous a remerciés en nous précisant qu'il nous avait enregistrés dès la première répétition.

Quelles sont les images musicales que vous avez conservées d'avant 62 ?
Les chansons populaires à la radio. Des trucs de Doris Day. L'opéra où m'amenaient mes parents. Les disques de jazz de mon frère comme ceux du MJQ, Cochran et de Buddy Holly qui passaient dans le juke-box d'un bar que je fréquentais. Il y avait aussi la musique de Touchez Pas Au Grisbi (sourire). Mais j'ai plein de phases non-musicales ayant eu des répercussions sur mon rapport à la musique. J'adore peindre, par exemple. D'ailleurs, mes héros sont des peintres. Mais dormir reste mon hobby favori (rire).

Marc Zisman


Robert Wyatt sur Internet :
Apparemment presque rien : juste une simple évocation de la carrière de Wyatt. En y regardant de plus près, on s'aperçoit que cette courte biographie recense tous les sites Web consacrés de près ou de loin à l'ancien Soft Machine. Une belle plate-forme.
http://www.geocities.com/SoHo/Studios/6940/ Wyatt.htm
       
     
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