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 L'orgue à Robert - Blah-Blah - N° 33 - octobre 1991



L'ORGUE A ROBERT

 



Il était une fois, puis deux, puis trois : Robert Wyatt ou la résurrection du son à jet continu.

Premier chapitre : Soft Machine, second épisode - Matching Mole, break puis solo in fauteuil.

Explications et nouveau disque à la clé: "Dondestan", suffisamment pertinent en ces temps d'obscurantisme pour mériter un flash-back...



 
 

Je vous parle d'un temps que les moins de trente ans risquent de ne pas connaître, trouvant le terrain trop miné, les chemises trop Paisley et le son - un chouilla décoloré. Que nenni mes bons, que nenni, il s'en faut de beaucoup que la première apparition de Soft Machine et de son batteur-chanteur-trompettiste - guitariste-pianiste - le Wyatt en question qui nous occupe précisément là, se soit faîte dans le silence le plus terrible.




Avec les rééditions qui sortent aujourd'hui on cerne mieux l'importance de la « Machine Molle» titre emprunté par l'organiste Michael Ratledge à un livre de William Burroughs. On comprend mieux les raisons pour lesquelles les «Volume Un et Deux» (Ace-distribution Média 7), le «Third Album» ( Sony-import USA) et les Peel Sessions de Soft en 70/71 (Strange Fruit - Wotre Music) sont des disques qui DOIVENT figurer dans toute discothèque qui se respecte. Ces raisons tiennent en peu de mots, mais de taille : des individus inspirés et créatifs autour d'un clavier qui fait le son. Et la liste des musiciens est longue - qui va de Daevid Allen qui formera Gong, enregistrant juste «Feelin, Reelin, Squeelin» produit par Kim Fowley, en passant par Kevin Ayers, le chanteur à redécouvrir absolument pour une poignée de titres magiques, Hugh Hopper le bassiste et l'âme de Soft à partir du second album, Michael Ratledge le premier à expérimenter les trifouillages sonores au synthétiseur, le saxo Elton Dean et puis les batteurs: Wyatt, Phil Howard et John Marshall; une somme plus forte que ces simples éléments.

Là où le Floyd s'est spécialisé dans le planant et le pathos (the Wall), le chemin du Soft a été de mélanger toutes les influences existantes de l'époque pour faire sa musique; et là l'histoire du rock ne bégaye pas- le mélange va du contemporain via Schoenberg, au dadaïsme et au surréalisme en passant par le jazz, la musique répétitive et les expérimentations avec les nouveaux instruments, sans oublier celles sur la voix par Wyatt, encore à partir d'une trame qui se nomme justement le psychédélisme anglais. Mais l'originalité du groupe ne s'arrête pas là, car ils sont aussi les premiers à jouer des lights-shows et à faire de longs concerts qui passent par de longues improvisations entrecoupées de leurs morceaux construits (qui servent d'intermèdes) et pas le contraire - toute l'astuce est là.

Mais un tel équilibrisme musical ne pouvait durer qui, en faisant sans cesse exploser des schémas repoussait sans arrêt les limites musicales. L'alchimie disparue, avec ses fondateurs partant les uns après les autres pour de nouvelles expériences, il reste comme traces ces disques qui ne sont pas prêts de prendre des rides, à moins que vous n'ayez déjà les portugaises ensablées... « Avec Soft Machine, j'étais le chien de la famille, tapant sur mes tambours, ouvrant ma gueule pour chanter et la refermant pour taper sur autre chose... Il se peut que j'ai inventé quelque chose pour le chant - la façon de servir de la voix comme d'un harmonica, en alternant aspiration et expiration - ce qui permet d'avoir un son continu - mais ma contribution s'arrête là.» Wyatt est le fils d'une écrivain Honor Wyatt et même si depuis son accident en 73, il n'est plus batteur, car resté paraplégique après une chute de trois étages, il est encore peintre, percussioniste, chanteur, compositeur et doué d'un humour peu commun que «Dondestan» ne révèle que peu.

Dernier flashback, l'épisode 71-73. Musicien adulé, rock star demandée partout pour jouer ou chanter, on peux le repérer avec Eno, Manzanera, Carla Bley, Nick Mason, Keith Tippett quand il n'officie pas avec son groupe Matching Mole ( jeu de mot sur un jeu de mot sur un jeu de mot - merci Gertrude Stein). Un batteur paraplégique - un gag, oui mais pas un percussionniste-chanteur. Là où d'autres se seraient laissé mourir à petit feu, le batteur - rock le plus jazz de la planète (avec celui de Can) sort un chef d'oeuvre intitulé «Rock Bottom» (Virgin), en forme de bombe glacée - mais de bombe quand même. Seule sa créativité et l'amour retrouvé pour un peintre - la fameuse Alfie de ses pochettes, son actuelle compagne, lui permettent de ne pas sombrer. "Rock Bottom", c'est un tableau de Tanguy, un tableau avec de bizarres formes colorées mais à dominante grise, et qui dans ce cas précis perdrait ses couleurs au moment même ou l'on porte son regard dessus. "Je n'ai jamais eu autant confiance en moi en tant que chanteur-compositeur que quand j'étais batteur. Je me sens intimidé en studio, les nouvelles technologies m'intimident et cela me rend Cro-Magnon" . J'ai du mal à écrire des chansons, cela ne m'est pas naturel; mon premier intérêt est pour la batterie (le drum-kit) pas pour la guitare ou le synthétiseur. Chez moi, c'est le rythme qui est premier et je ne peux pas composer sans avoir défini des éléments de base , et de texture rythmique.

C'est le nouveau Wyatt qui émerge là, un batteur reconverti dans le minimalisme de moyens, mais qui en tire une beauté désolée et pétrifiante par l'emploi judicieux de claviers qui viennent rehausser l'emploi des toms et son jeu de cymbale - sa marque de fabrique qui donne le contrepoint exact de sa voix. 75 voit émerger un Wyatt ayant retrouvé toute sa confiance et qui s'adjoint Mongezi Feza et Dudu Pukwana trompettiste et saxophoniste pour un disque qui reprend et la route du jazz et celle des comptines déboussolées du temps de «Moon in June» ou de «Caroline», en moins pop. Comme s'il tentait de reprendre les expérimentations là où il s'était arrêté avec son accident. Un disque majestueux, déconnant et dépouillé qui n'a d'équivalent que le «Dinner Music» du Carla Bley Band. « C'est à ce moment vers 73 que j'ai commencé à chanter en espagnol pour montrer que l'Amérique ne s'arrêtait aux frontières anglo-américaines et qu'il existait d'autres pays qui s'appelaient le Chili ou Cuba...» Et puis ,c'est le silence radio, imposé par le punk. Wyatt (comme Tom Petty) trouve que vers 75, la pauvreté des textes et des démarches devient consternante; et comme l'autre, il est trop vieux pour devenir un punk. De l'avant-garde au punk, il n'y a que Bizot en France pour sauter le pas... Donc Wyatt se tourne vers d'autres horizons, il se rapproche des communistes anglais, après avoir mis à mal les structures musicales du rock, il fait la révolution dans sa tête et sort au début des années 80 deux albums « Old Rottenhat» et «Nothing Can Stop Us» qui font encore plus signe aujourd'hui qu'à leur sortie. Sa démarche de mettre en avant des chansons telles que Strange Fruit, The Age of Self, Red Flag, Stalin wasn't Stallm, British Road - ou de faire jouer de la world-music avant qu'on n'ose même en parler, font de lui un musicien touche à tout qui balance des vignettes et des libelles sur l'ère Thatcher qui tenant compte du peu de singularité du rock anglais (néo-machin truc ) va piocher dans les classiques et les relifte par son interprétation. C'est toujours du grand Wyatt, même avec un son différent et un traitement particulier. La voie de la voix... Costello ne s'y trompe pas qui accepte de produire sa version de «Shipbuilding» - gros tube évident. Puis, les déclarations à la presse arrivent, où un Wyatt toujours conséquent décide de se retirer à l'étranger, passablement dégoutté qu'il est du show-biz qui lui fait des entourloupes. Exil en Espagne et silence musical pendant cinq autres années où on se demande dans quelle morosité il a sombré et pourquoi l'enchanteur à roulettes se tient en retrait: plus rien à dire, à faire ou à créer?




Aujourd'hui, "Dondestan" est dans les bacs des disquaires, encore une fois à part. Solo pour ce qu'est devenu le propos et les amis disparus; mais aussi en 11 titres, la preuve qu'il n'a pas fini de se métamorphoser. Aujourd'hui il se prend pour un Cro-magnon de studio qui ne comprends plus le maniement de la technologie des années 90 et se retrouve avec ses vieux instruments à la quête d'un son qui se démarque d'autant plus, par sa construction, des produits sophistiqués qu'on trouve sur le marché de la culture. Seulement, malgré cela, la magie est au rendez-vous, le travail parfait et on en redemande. Dondestan repart des recherches sonores de «Rock Bottom», avec des climats moins tendus, moins désespérés et flippés qu'auparavant, pour atterrir sur une nouvelle planète qui doit plus au jazz pour le feeling et le son qu'au rock d'hier. C'est un moyen commode de remettre la main à la pâte. Un retour en arrière - ou mieux, désolé pour l'image, un coup de pied au fond de la piscine, vers la lumière et l'air libre. Piano, percus, synthés et jeu modal sont là, avec des textes poétiques et sa voix, la grande voix d'un revenant qu'on n'osait plus attendre. «L'excitation de la création, chez moi, ne vient pas de la musique, en premier lieu, mais de la peinture. Quand j'étais jeune, je ne pensais pas devenir musicien ou encore artiste. Je me suis aperçu de l'effet qu'avait la musique sur moi ,au collège, quand je n'ai plus pu pratiquer en écoutant mes disques - cela m'a fait un choc et j'ai reconsidéré et mon approche de la peinture et celle de la musique...

Dondestan: l'album vient d'un voyage en Espagne au milieu des années 80 où Wyatt et sa femme devaient passer quelques temps et ils y ont trouvé du travail - elle comme illustratrice de livres pour enfants, lui à la radio. Là, ils ont pris des notes, et à partir de ces notes l'album est né (quelques années plus tard...) «Dondestan», le morceau-titre parle des gens qui, d'une manière assez ironique, possèdent une culture, des racines un mode de vie spécifique et qui sont sans arrêt sous la coupe d'autres gouvernements qui les empêche de vivre selon leur désirs ( Kurdes, Arméniens, Palestiniens). La lutte continue.

J P Simart

       
     
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