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Soft
Machine en trois dimensions - Best - N° 54 - janvier 1973
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SOFT MACHINE EN
TROIS DIMENSIONS
Je vous mijotais une méchante étude théorique
sur la "famille Soft", avec panorama historique,
analyse psychologique, thèse, antithèse et
synthèse. J'y aurais mis en lumière, dans
une superbe fresque, les mécanismes de la complexe
évolution du Soft Machine et les rôles respectifs
des groupes cousins (Gong, Kevin Ayers Whole World, Matching
Mole, Just Us, Caravan) et affluents (Keith Tippett, Nucleus,
Delivery). Si vous y avez finalement échappé,
c'est que ce que m'ont raconté ces trois vétérans
du Soft, Robert Wyatt, Hugh Hopper et Mike Ratledge, était
tellement passionnant que j'en ai heureusement oublié
tout ce que j'avais à dire sur le sujet et que je
préfère vous livrer leurs propres commentaires.
J'ai rencontré Robert dans l'appartement qu'il occupe
au 22e étage d'une de ces gigantesques tours qui
commencent à déparer Londres comme elles défigurent
Paris. Matching Mole, le groupe qu'il avait formé
peu après son départ du Soft, n'avait encore
que quelques mois d'existence, et malgré les difficultés
financières dans lesquelles il se débattait
déjà, Robert était plein d'enthousiasme.
Il me traça un portrait haut en couleurs de la Machine
Molle, dans un parler anecdotique et plein de verve, à
la fois très lucide et désordonné,
comme si sa pensée précédait perpétuellement
sa parole. Bien qu'assez amer, il n'avait rien perdu de
cette spontanéité lorsque, quelques mois plus
tard, il m'annonça la séparation de son groupe.
C'est ensuite Hugh que j'allais voir, dans l'ancien torpilleur
aménagé en villa et amarré à
une vingtaine de kilomètres de Canterbury, le berceau
du Soft, où il habite en compagnie de son frère
Brian et de leurs compagnes. Il révéla une
personnalité très humaine et chaleureuse,
et cette trompeuse apparence de froideur qu'on lui connait
sur scène tient en fait à un caractère
réservé, voire timide. C'était en juin
dernier, Karl Jenkins venait juste de remplacer Elton Dean,
et quelques jours plus tard je me rendais enfin chez Mike,
dans son appartement londonien, aux murs tapissés
de livres de toutes sortes. Lui aussi se montra plus ouvert
qu'on pourrait l'escompter, mais m'impressionna surtout
par un sens aigu de l'analyse, au crible duquel il se plait
à passer ses propres dires.
Voici donc l'essentiel de ces trois conversations...
WYATT |
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HOPPER |
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RATLEDGE |
Hervé Muller : Considérez-vous Matching
Mole comme une continuation de ce que vous faisiez
avec Soft Machine ?
Robert Wyatt : Ma contribution à Matching
Mole, oui... Vous voyez, c'est deux choses. C'est
moi qui prend ma chance à faire certaines choses
que je voulais faire, comme chanter quelques pop-songs
et jouer à nouveau un peu de piano, des choses
comme ça. Et puis c'est un nouveau groupe.
Il y a une part de chaque sur notre premier album,
encore que l'ultime développement du groupe
n'y soit pas représenté, Dave McRae
(qui a remplacé Dave Sinclair) est maintenant
devenu un élément d'importance centrale
dans le son créé.
H. M. : Comment en êtes-vous finalement
arrivé à prendre la décision
de quitter le Soft Machine ?
R. W. : Ah! l'éternelle question...
Bon, je vais essayer de donner une réponse
différente si possible. Je suis fatigué
de donner toujours les mêmes raisons, aujourd'hui
je vais essayer de trouver quelque chose d'autre...
H. M. : Si cela peut vous aider, je vais vous
livrer mes impressions. J'ai toujours eu le sentiment
que, depuis le début, il y avait deux sortes
de gens au sein du Soft Machine. Certains introvertis,
faisant de la musique avant tout pour eux-mêmes,
comme Mike, Hugh ou Elton, et d'autres, comme Daevid
ou vous, plus extrovertis, ayant une conception communicative
de la musique. D'où un conflit et un déplacement
d'équilibre...
R. W. : La seule chose que je puisse en dire
est... vous verrez comment Matching Mole va évoluer
et comment Soft Machine va évoluer, et le contraste.
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Hervé Muller : Quand
êtes-vous effectivement devenu un membre du
Soft Machine ?
Hugh Hopper : Je n'étais pas membre
de la formation originelle, avec Daevid (Allen), Kevin
(Ayers), Larry (Knowlin) et Mike. Je n'ai rejoint
le groupe qu'au départ de Kevin. Auparavant,
j'étais roadie, mais je composais aussi - c'est
mon frère Brian et moi qui avons écrit
"Hope for happiness" - et je joue dans "Box
25/4 Lid", sur le premier album. Ce qui s'est
en fait passé, c'est que Kevin en a eu marre
et a quitté le groupe aux Etats-Unis, après
la tournée avec Hendrix, en 68. Mike rentra
mais Robert resta à Los Angeles, travailla
là-bas, fit quelques démos. Pendant
environ quatre mois, le Soft Machine cessa d'exister.
Mais Probe, la compagnie de disques qui avait signé
avec le groupe aux Etats-Unis, contacta Robert, réclamant
le second album prévu par le contrat. Robert
est donc rentré à Londres pour enregistrer
avec Mike, et c'est alors qu'ils m'ont demandé
de me joindre à eux. Mais, longtemps auparavant,
j'avais déjà joué dans des groupes
locaux (de la région de Canterbury) avec Robert,
et aussl Daevid...
H. M. : A quelle époque ?
H. H. : Début des années soixante...
H. M. : Vous jouiez déjà de la basse,
à l'époque ?
H. H. : Oui, c'est le premier instrument dont
j'ai joué, dès le début. J'ai
aussi joué un peu de saxo, dans des groupes
de rock'n'roll! Mais la base de ma formation est quand
même le jazz. Charlie Haden, des gens comme
ça.
H. M. : Jouez-vous de la contrebasse ?
H. H. : Non, j'ai joué de la basse électrique
dès le départ, et puis c'était
trop tard.
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Hervé Muller :
A une certaine époque, juste après "Fourth",
pas mal de gens disaient que le Soft Machine ressemblait
de plus en plus à un Elton Dean's Band. Rétrospectivement,
maintenant qu'Elton a quitté le groupe, qu'en
pensez-vous ?
Mike Ratledge : Non, je ne crois pas que cela
fut exact. Vous savez, lorsqu'un musicien rejoint
un groupe, il passe d'abord par un stade où
il tend à rester assez discret, le temps de
s'acclimater et de découvrir comment la formation
fonctionne. Puis, lorsqu'il se sent suffisamment en
confiance dans la situation qu'il occupe dans le groupe,
il devient capable d'influer, de pousser dans la direction
qu'il voudrait voir prendre. Au moment de "Fourth",
de toute évidence, Elton en était arrivé
là, et c'est peut-être ce qui, de l'extérieur,
pouvait donner cette impression. Mais je ne pense
pas que quiconque dans le groupe ait eu le sentiment
d'être forcé dans une direction quelconque.
H. M. : Phil Howard n'était-il pas très
exactement dans le même "trip" musical
qu'Elton ?
M. R. : Oui, oui... Je pense que le groupe,
tel qu'il se présentait avec Phil Howard, était
à beaucoup d'égards tel qu'Elton concevait
qu'il aurait dû être...
H. M. : Je vous ai vu jouer avec Phil Howard
l'an dernier à Chaillot, puis six mois plus
tard à l'Olympia, avec John Marshall. De toute
évidence, vous paraissiez beaucoup plus satisfait...
M. R. : Oh, oui !
H. M. : En fait, je ne vous ai jamais vu vous
extérioriser autant en scène auparavant,
c'était assez étonnant...
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WYATT |
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HOPPER |
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RATLEDGE |
H. M. : Rien que le contraste entre le premier album
du Soft Machine et "4th" est assez effarant.
R. W. : Les deux premiers albums, et aussi
"Moon in June" (sur "Third"),
sont ma conception... Sur le reste, je suis... une
sorte de batteur de session pour une intéressante
nouvelle espèce de groupe de jazz, je suppose.
Ça m'a plu... Mais, vous savez, c'est un peu
un jeu de dire que telle personne au sein du groupe
est ainsi et telle autre... Je veux dire, à
une certaine époque, Elton et moi étions
considérés comme les deux improvisateurs
"free",et Mike et Hugh comme les compositeurs-arrangeurs.
Vous pouvez faire tous les regroupements que vous
voulez, et en tirer des conclusions intéressantes
sur ce qui s'est passé, ce sera toujours vrai,
d'une certaine façon, du moment que vous n'exagérez
pas... Pourtant, l'élément qui pour
moi représente une individualité vraiment
magique au sein du Soft Machine, celui qui a captivé
mon imagination, c'est Hugh Hopper. Si c'est autre
chose qu'un prévisible groupe de jazz moderne,
la responsabilité en incombe plus à
la présence de Hugh qu'à qui que ce
soit d'autre.
H. M. : Rétrospectivement, quelle importance
accordez-vous au premier album du Soft Machine ?
R. W. : C'est comme le souvenir de certains
concerts de ce trio (avec Mike et Kevin Ayers) qui
furent fantastiques, bien meilleurs que le disque.
Il fut enregistré après environ un mois
passé à New York, et c'était
simplement une version condensée de ce que
nous faisions en scène à cette époque.
Kevin était étonnant - assez bizarrement,
il était alors le plus original d'entre nous.
En fait, ce furent surtout l'influence de Daevid (Allen)
et de Kevin qui firent de Soft Machine un groupe "freaky",
non pop, anticonventionnel. Pour ne prendre que deux
exemples spécifiques, ce fut l'idée
de Kevin de réaliser un effet de boucle, en
utilisant le principe du "loop" de Terry
Riley, dans "We did it again". Et bien sûr,
pour commencer c'était Daevid qui nous avait
fait découvrir Terry Riley. Et puis c'est Kevin
qui écrivit la première figure en 7/4
que nous ayions jamais utilisée, et que Mike
reprit pour "Easter's nose job". C'est autour
de la ligne de basse de Kevin que Mike écrivit
sa première composition. Auparavant, il ne
s'était pas préoccupé d'écrire...
Vous savez, parce que c'était le premier album,
les gens croient que ce trio, c'était le premier
Soft Machine. Mais le fait est que le Soft Machine
original, c'était Daevid Allen, autour de Daevid,
ses structures de raga, ses chansons, ses conceptions
rythmiques et sonores, son idée de faire de
longues improvisations, etc. Et puis son jeu de guitare
dingue, le seul guitariste alentour, à l'époque,
qul ne fasse pas de l'imitation de blues. Il n'y a
aucun doute pour moi que la figure centrale de cette
époque, le grand inspirateur, fut Daevid. C'est
lui qui me présenta à mon professeur
de batterie, Georges Neidorf, c'est lui qui me présenta
Terry Riley. Nous avons joué ensemble, Daevid,
Terry Riley et moi, mais je jouais de la trompette...
enfin, pas très bien, mais il m'a donné
une chance d'essayer, personne d'autre ne le fit...
H. M. : Je me souviens que sur la pochette du premier
album, effectivement, il est mentionné que
vous jouez de la trompette...
R. W. : Oui, j'ai essayé un peu de vieux
Don Cherry... Terry Riley a enregistré des
bandes stupéfiantes de Chet Baker à
la trompette, à Paris, en utilisant un écho
"loop" tout à fait dans la ligne
de ce que j'essaie toujours de développer avec
la voix... A cette époque, aussi, Terry Riley
faisait également des trucs satiriques très
drôles, genre piano de cabaret... Daevid est
la première personne que j'ai rencontrée
avec les cheveux longs, la première personne
que j'ai rencontrée qui prenait des drogues,
la première personne qui faisait des bandes
en "loop"... C'est pourquoi, rien de ce
que les Mothers Of Invention ont fait ne m'a vraiment
surpris beaucoup,
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C'est un instrument très
dur. Roy Babbington, que nous utilisons parfois pour
nos séances d'enregistrement, en joue depuis
l'âge de douze ans !
H. M. : Daevid Allen n'était-il pas le leader
d'un de ces groupes "pré-Soft" à
Canterbury ?
H. H. : Oui... Il y a quelque chose qui me
gêne à propos de Daevid prenant une orientation
si résolument pop. Il était plus intéressant,
plus original, auparavant. C'était un excellent
guitariste de jazz, et il était aussi très
ferré sur la musique électronique, Terry
Riley, etc. C'est vraiment dommage qu'il se soit tourné
vers la pop.
H. M. : N'est-ce pas là une attitude bien
péjorative ?
H. H. : C'est une question de niveau... Il
est devenu moins original à partir du moment
où son objectif a été d'atteindre
un public.
H. M. : Pourtant, il me semble bien que les Soft
des débuts créaient une pop music plus
originale que ne l'est la musique des Soft d'aujourd'hui,
dans un contexte jazz...
H. H. : C'est tout à fait exact, mais
à l'époque, le Soft Machine faisait
partie de tout un mouvement, l'U.F.O., le Middle Earth
les light-shows de Mark Boyle etc., ce n'était
pas simplement quatre personnages qui jouent ensemble,
comme maintenant. C'est devenu quelque chose de beaucoup
plus conscient.
H. M. : Comment s'est effectué le départ
de Robert ?
H. H. : A l'issue de la tournée américaine,
en juillet 71... Ça faisait déjà
quelques temps que Mike et moi voulions qu'il parte,
mais il faisait partie du groupe depuis si longtemps
qu'il faisait un peu figure de leader... Finalement,
c'est lui-même, je crois qui demanda à
Sean (Murphy leur manager) d'arranger quelque chose
pour qu'il puisse travailler en dehors du Soft Machine.
H. M.: Dans les faits, n'était-il pas déjà
plus ou moins extérieur au groupe depuis un
certain temps ? "Chanteur pop en chômage,
actuellement batteur avec le Soft Machine", comme
il s'intitulait sur la pochette de son album solo...
H. H. : Oui mais c'était aussi une attitude
qu'il s'imposait. C'est typique de Robert, cette façon
d'accentuer sa situation d'isolement.
H. M. : Quelle importance ce départ a-t-il
eu sur l'évolution du groupe ?
H. H. : C'était un pas en arrière,
parce que le Soft c'était avant tout Robert
et Mike. Mais c'était aussi un changement nécessaire,
et important, pour nous. Robert et moi ne nous entendions
plus guère personnellement, ça faisait
trop longtemps que nous travaillions ensemble. Or,
dans toute l'histoire du Soft Machine les divergences
musicales et personnelles ont toujours été
étroitement liées.
H. M. : J'aurais plutôt cru que les tensions
étaient entre Robert et Mike, voire Elton...
H. H. : Ça variait... Les membres du
Soft Machine se sont toujours mieux entendus en dehors
du groupe. A l'intérieur du groupe, ça
pouvait devenir très dur.
H. M. : Ne regrettez-vous jamais de ne plus avoir
de chanteur ?
H. H. : Non. Je n'aimais pas le chant de Robert, de
toute façon. Il y a très peu de chanteurs
que j'aime. Hendrix était un de ceux-là.
Et puis, je trouve qu'utiliser la voix humaine, c'est
s'imposer d'emblée une limitation. Je suis
plus intéressé par les sons produits
par un instrument, ou électroniquement, parce
qu'en elle-même la conception de chanson offre
des possibilités bien plus limitées
que la recherche sonore.
H M. : Mais Robert n'utilisait-il justement pas
sa voix comme un véritable instrument ?
H. H. : Peut-être, mais c'était quand
même la voix de Robert... Et puis je crois que
je le connais trop bien, c'est très subjectif
et personnel...
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M.R. : Je m'en excuse...
H. M. : Non! Pourquoi ? C'était seulement
surprenant parce que j'étais plutôt habitué
à vous voir assez renfermé en scène...
M. R. : J'étais effectivement très
content du groupe... Pourtant, ce concert de l'Olympia
ne fut pas particulièrement bon, et c'est un
horrible endroit pour jouer. Nous avions une sonorité
atroce.
H. M. : Pensez-vous que le remplacement d'Elton
par Karl Jenkins représente un changement très
positif ?
M. R. : Absolument. De plusieurs façons.
Et puis le fait qu'il joue du hautbois représente
un changement d'instrument. C'est aussi un très
bon pianiste.
H. M. : A ce propos, le fait qu'Elton, lui aussi,
doublait déjà au piano électrique,
vous a-t-il apporté beaucoup ?
M R. : Oh oui! Je ne pourrais plus envisager
de ne pas avoir un autre pianiste dans le groupe.
Simplement, parce que du fait du fonctionnement de
l'orgue, si je joue en solo rapide, je ne peux plus
jouer d'accords.
H. M. : Considérez-vous l'abandon du chant
comme définitif, pour Soft Machine ?
M. R. : Robert était le seul que cela
intéressât encore, depuis le début
du quartet avec Elton, vous savez...
H. M. : Cela signifie-t-il que la conception originelle
du Soft Machine était plutôt celle de
Robert, Kevin ou Daevid ?
M. R. : En termes de conception d'un groupe,
et je ne crois d'ailleurs pas qu'on pense consciemment
en de tels termes, ce qui importe vraiment, c'est
qui compose le plus à un moment donné.
Alors, si plusieurs membres écrivent des chansons...
H. M. : Qui écrivait le plus à ce
stade ?
M. R. : Kevin. A l'époque où
j'ai rejoint le groupe, il écrivait énormément.
Il a dû écrire à peu près
une soixantaine de chansons, dont nous faisions une
dizaine environ. En fait, je dirais que Daevid et
lui furent les originateurs du groupe qui devint plus
tard le Soft Machine, bien qu'il ne s'appela pas encore
ainsi lorsqu'ils commencèrent. Ils formèrent
le groupe avec ce guitariste américain, Larry,
et Robert (Wyatt) quitta les Wild Flowers (où
il jouait en compagnie de Hugh et Brian Hopper) pour
se joindre à eux. Ils s'appelèrent d'abord
Mr. Head, puis divers autres noms, mals c'est seulement
un peu après qu'à mon tour j'ai rejoint
le groupe, que nous décidâmes de le baptiser
Soft Machine, principalement parce que nous n'arrivions
pas à nous mettre d'accord sur aucun des noms
que chacun de nous avait imaginés... Mais je
crois bien que Kevin et Daevid sont rentrés
de Majorque avec en tête l'idée spécifique
de ce groupe.
H. M. : Que faisaient-ils à Majorque ?
M. R. : Ce que tout le monde fait à
Majorque...
H. M. : Comment Daevid a-t-il fait irruption dans
votre groupe de Canterbury ?
M. R. : Il est venu vivre chez Robert quand
celui-ci avait environ 14 ou 15 ans, quand nous étions
tous au lycée. Je crois que c'était
en réponse à une annonce que la mère
de Robert avait passée dans le journal. Avec
lui, Daevid apportait environ deux cents disques de
jazz, c'était fantastique. Ils circulèrent
parmi nous.. Je ne sais pas ce qui ce serait passé
sans cela. (Presqu'à lui-même). Ça
serait curieux de savoir, il faudrait y réfléchir
...
H M. : Le point de départ fut donc le jazz...
M. R. : La première entreprise que monta
Daevid fut un trio avec Hugh et Robert, qui était
en fait une sorte de combinaison de jazz et de poésie.
Jouer et dire des poèmes en même temps.
C'était vraiment fantastique. Ils utilisaient
des bandes, aussi... Mais à Londres, ils ne
réussirent pas à se soutenir financièrement.
Ecoeurés, Daevid et Kevln partirent à
Majorque, et Robert rentra
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RATLEDGE |
parce que j'avais entendu Daevid le faire sur bande
auparavant, avec Terry Riley et John Esam, un de ses
proches amis. En fait, Daevid m'a fait découvrir
toute une impossible façon de développer
ma vie, à cette époque...
H. M. : Et Mike ? Quelle est son importance dans
le développement du Soft Machine ?
R. W. : Un des caractères les plus insatisfaisants
de la pop-music à l'époque, pour moi,
était le fait qu'elle soit tellement basée
sur la guitare. Je trouvais cela limité ; je
voulais travailler avec des instruments qui puissent
fournir un son continu totalement soutenu. Je voulais
travailler avec un organiste, sauf que tous les organistes
à cette époque, étaient de mauvaises
imitations de Jimmy Smith ou de Booker T., ou faisaient
du cabaret. Mais ce n'était pas le cas de Mike,
et comme il utilisait à plein ses connaissances
de musicien à clavier, qui de façon
générale sont techniquement supérieures
à celles que possédaient les guitaristes
de l'époque, il fut un très important
élément de développement. En
ce qui concerne ce qu'il fait maintenant, je ne peux
rien dire. Il compose, il joue, il explore ses rêves
particuliers, je ne sais pas...
H. M. : Quel fut le rôle du frère
de Hugh Hopper, Brian ?
R. W. : Brian était un contemporain
de Mike à l'école primaire... Hugh,
Brian, Mike, Dave Sinclair et moi allions tous à
la même école à Canterbury, mais
Hugh et moi étions plus jeunes que Brian et
Mike, et Dave était plus jeune que nous tous.
J'allais voir Mike et Brian aux concerts de l'école,
ils faisaient des duos pour piano et clarinette, Debussy
et des choses comme ça, vraiment bons... La
première fois que j'ai vu Mike, il chantait
soprane dans la chorale de l'école, à
la cathédrale de Canterbury. Je venais d'entrer
dans l'école et je devais avoir onze ou dix
ans, je pense, et Mike environ douze ans...
H. M. : Pourquoi Mike n'a-t-il donc jamais chanté
avec le Soft Machine ?
R. W. : Je crois bien qu'il a complètement
flippé quand sa voix a mué !
H. M. : Pour en revenir à Brian Hopper,
il a composé pour le Soft Machine...
R. W. : Oui, mais vous voyez, Brian Hopper est un
homme de science, un chercheur bio-chimiste. Aux dernières
nouvelles, il étudiait des épidémies
qui ravagent les récoltes de riz, je crois,
pour trouver des moyens d'augmenter la production
des céréales, ce genre de choses...
H. M. : On est loin de Soft Machine !
R. W. : Oui... Peut-être pas, au fond
? Toujours est-il que Brian, Hugh et moi, et Richard
Sinclair, le futur bassiste de Caravan, avions un
groupe (les Wild Flowers) pendant un temps à
Canterbury, après que j'ai quitté l'école.
Brian composait, jouait de la guitare et du saxo.
Nous faisions des trucs de Chuck Berry, de Mose Allison,
des chansons de Nina Simone, et quelques morceaux
de Cannonball Adderley et de Mingus... mais pour dépasser
ce stade, il fallait laisser tomber tout le reste,
et il n'était pas préparé à
faire ça : il avait des examens à passer
et ainsi de suite...
H. M. : Comment en êtes-vous venu à
faire ce premier simple avec Daevid (début
67 sur Polydor) ?
R. W. : Ce fut grâce à Kim Fowley,
un Américain.
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H. M. : Et le départ d'Elton ?
H. H. : Il s'est effectué dans de très
bons termes... Vous savez, c'était dans l'air
depuis que Phil (Howard) était parti. Il est
le batteur idéal pour Elton. Mais Mike et moi,
il nous laissait très insatisfait. Alors nous
avons auditionné d'autres batteurs, et lorsque
nous avons trouvé John Marshall, nous avons
demandé à Phil de partir. Ce dernier
n'a en fait jamais vraiment été un membre
à part entière du Soft Machine. John
(Marshall) est beaucoup mieux intégré
au groupe.
H. M. : Quel changement dans la forme musicale
le remplacement d'Elton par Karl Jenkins est-il susceptible
de provoquer ?
H. H. : Avec Elton, la part de l'improvisation
, en scène, était d'environ 60%. Mais
nous avions toujours une espèce de cadre pré-arrangé
à l'intérieur duquel nous improvisions.
Or, pour Elton, c'était encore une trop grande
limitation. La composition ne l'intéresse pas,
son domaine, c'est l'improvisation totale, sans aucune
structure. Mike se situe à l'autre extrème,
vers des formes musicales formelles. Et je me situe
entre les deux.
H. M. : Qu'entendez-vous par "des formes musicales
entièrement formelles" ?
H. H. : Entièrement composées,
écrites et arrangées à l'avance.
C'est le seul point de désaccord entre Mike
et moi. Mais comme Karl compose lui aussi, il devrait
être un facteur d'équilibre.
H. M. : Nucleus semble décidement faire
office de réservoir à musiciens pour
Soft Machine : John d'abord, et maintenant Karl...
H.H : Oui, c'est toujours le même milieu
de musiciens. En fait, Karl était un ami de
Nick Evans... et c'est ce dernier qui a suggéré
que nous le prenions.
H. M. : Vous n'aviez jamais joué ensemble
auparavant ?
H. H. : Nous avions seulement jammé
une fois ensemble, à Paris... au Rock'n'Roll
Circus ! Il y avait également Lyn Dobson, Elton,
et puis Christian Vander à la batterie.
H. M. : Quelle est votre opinion sur Vander ?
H. H. : Il est un peu comme Phil, d'une certaine
façon. Très bon, mais trop puissant,
trop en lui-même quand il joue...
H. M. : Etes-vous satisfait de "5th"
?
H. H. : Non. Je trouve que le son en est trop
léger, pas assez dense.
H. M. : Cela concerne-t-il plus particulièrement
la face sur laquelle joue Phil Howard ?
H. H. : Non. Le jeu de batterie de Phil y est
O.K. et l'autre face (avec John Marshall) me laisse
sur la même impression. C'est le son de l'ensemble
qui est en cause.
H. M. : Le départ d'Elton Dean ne va-t-il
pas représenter pour la musique du Soft Machine,
une certaine libération vis-à-vis du
jazz d'avant-garde ?
H. H. : En fait, cela dépend toujours
du genre de musique que chacun d'entre nous se plait
à écouter pendant une période
donnée. Et Mike a toujours été
intéressé par le jazz moderne - par
exemple, en ce moment, il écoute beaucoup Weather
Report.
H. M. : Et vous ?
H. H. : John Coltrane, Miles Davis...
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à Canterbury, où il se joignit aux Wild
Flowers. Pour en revenir au groupe tel qu'il était
lorsque j'en suis devenu membre, nous ne faisions
pratiquement que des chansons, mais très différentes
selon leur auteur. Ce que faisait Larry était
incroyablement folky. Robert c'était plus rock,
et Kevin... c'était du Kevin ! Je me souviens
qu'un morceau écrit par Hugh, "I should
have known", était prétexte à
de longues improvisations instrumentales, et plus
tard ce fut "Hope for hapiness" qui joua
ce rôle...
H.M. : Aimeriez-vous travailler à nouveau
avec un guitariste ?
M. R. : Oui. En fait, j'y ai pensé...
Je ne verrais aucune objection à jouer avec
McLaughlin, par exemple... Grands Dieux ! Mais, voyez-vous,
le problème n'est pas tellement d'avoir envie
d'ajouter tel ou tel instrument, mais plutôt
de trouver le musicien avec qui jouer, et surtout
de s'en tenir au format de groupe qui fonctionne le
mieux. C'est capital compte tenu que nous faisons
beaucoup de scène, et, à cet égard,
je crois que le quartet est le compromis idéal.
H. M. : Initialement, qui a eu l'idée d'ajouter
des cuivres à la formation ?
M. R. : Assez curieusement, je crois que c'est
Robert. Je ne sais pas si ce fut une fantaisie de
sa part, ou ce qu'il avait en tête, mais en
ce qui me concerne, si j'ai réagi favorablement,
c'est en partie parce que je commençais à
trouver que le trio offrait des possibilités
trop limitées, en ce qui concerne la composition.
En fait, depuis, j'en suis venu à penser que
nous n'avons pas su utiliser à plein ce que
nous avions... Mais j'étais aussi intéressé
par l'idée d'obtenir un soutien harmonique
pour l'orgue, en solo.
H. M. : Ce fut donc l'époque du septet...
M. R. : Oui, ce fut le point de départ.
Puis de sept nous sommes descendus à cinq puis
quatre.
H. M. : Pourquoi ?
M. R. : Nous avons renoncé à
trois des cuivres, parce qu'avec sept musiciens c'était
vraiment trop encombrant. Sans parler des problèmes
d'écho, qui existent de toute façon,
mais étaient multipliés par sept. Technologiquement,
nous n'avions pas l'expérience nécessaire
pour contrôler un tel volume sonore, D'une certaine
façon, c'était trop restreignant : à
sept c'était toujours ou trop rigide, ou trop
cahotique. Tandis qu'à quatre, on a bien plus
de chances d'arriver à un équilibre
harmonieux.
H. M. : Aimeriez-vous utiliser des musiciens supplémentaires
pour vos séances d'enregistrement, cependant
?
M. R. : Oui... Ça dépend de ce que vous
écrivez, vous savez... C'est à dire
que si vous écrivez beaucoup, vous pouvez vous
trouver parfaitement satisfait avec un quartet, parce
que votre préoccupation immédiate en
écrivant sera d'exprimer vos idées musicales
sous une forme directement interprétable par
le groupe... Evidemment, parfois, il vous vient une
idée qui s'avère impraticable pour le
quartet, mais ça n'a pas d'importance, vous
ne vous y attardez pas, parce qu'à la base
ce pour quoi vous écrivez c'est le prochain
concert. Ce qui est curieux, c'est que lorsque vous
vous retrouvez dans le studio pour enregistrer, ou
disons, deux semaines avant, vous commencez à
vous souvenir de ces idées que vous avez eu
à l'origine d'un morceau et si ça en
vaut la peine, et qu'il y a suffisamment de temps,
vous arrangez ça avec des musiciens supplémentaires.
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WYATT |
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HOPPER |
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RATLEDGE |
La première fois que j'ai vu son nom, c'est
sur la pochette du premier album des Mothers où
il est dit qu'il y joue de l'"hypophone",
ce qui en d'autres termes signifie... rien. C'est
un freak d'Hollywood, un type formidable. Il était
au premier Roundhouse que nous avons fait avec les
Pink Floyd, et il était plus conscient des
possibilités de ce que nous faisions que les
Anglais, à l'époque. Il a persuadé
notre manager de nous faire enregistrer ; il est venu
chez nous, nous a donné de l'argent, a fait
chanter ses chansons à Kevin toute la nuit.
"Feellin' reelin' squeelin'", ce fut vraiment
grâce à lui, Kevin ne voulait pas la
faire, et Kevin avait cette autre chanson que j'aimais
bien et que je voulais chanter, "Love makes sweet
music". Kim a donc persuadé Chas Chandler
de nous les faire enregistrer, et nous fîmes
aussi quelques autres trucs, qui ne furent jamais
utilisés. Le meilleur enregistrement de cette
période, avec Daevid, ne fut jamais sorti,
c'était "Fred the fish", sur lequel
je faisais un solo d'embouchure de trompette basé
sur un solo de Rex Stuart, sur un vieux disque d'Ellington.
Une magnifique chanson, que nous avions enregistrée
avec Georgio Gomelski...
H. M. : Comment expliquez-vous qu'à l'époque
le Pink Floyd ait percé, et pas vous ?
R. W. : Ils avaient deux avantages pour eux.
D'abord, ils étaient intégrés
dans ce milieu, cette communauté culturelle
liée à l'underground de l'époque,
ils avaient les bonnes relations et étaient
raisonnablement à l'aise. Et puis, ils étaient
bien meilleurs que nous, parce que Syd Barrett était
absolument magique, il était une entité
créative totalement épanouie dès
ce stade...
H. M. : (Après avoir longuement discuté
avec Robert de Matching Mole) Quelle est pour vous
la principale dlfférence entre ce groupe et
Soft Machine ?
R. W. : Financière. Ça veut dire
que si un ampli grille, nous n'en avons pas de rechange,
que nous ne pouvons pas avoir les micros qu'il nous
faudrait, et que je n'ai même pas assez de baguettes
de rechange. Ça veut dire que nous ne sommes
même pas sûrs de pouvoir nous rendre au
prochain concert parce qu'il nous faut louer un van,
ça veut dire que Dave McRae ne peut parfols
pas venir aux répétitions parce qu'il
lui faut continuer à faire des sessions, ça
veut dire que nous ne pouvons plus nous soûler...
H. M. (Six mois plus tard, Robert vient me
confirmer la séparation du groupe): Qu'allez-vous
faire maintenant ?
R. W. : Je ne sais pas encore exactement, mais
de toute façon, ça n'aura rien à
faire avec le public. Je vais devenir plus snob que
Stockhausen, si c'est possible...
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Certains trucs de musique électronique, également,
comme les premiers travaux de Stockhausen.
H. M. : Jamais de rock ?
H. H. : Pas vraiment, si ce n'est des choses
comme Miles Davis. (A titre indicatif, pendant les
quelques heures que je passai chez lui, les disques
que joua Hugh furent Weather Report, John Coltrane,
Eric Dolphy et aussi Patto, qu'il me présenta
comme le genre de chanteur qu'il apprécie.
Mais alors qu'il joua les trois albums précédents
dans l'intégralité de leurs deux faces,
il sélectionna deux titres sur celui de Patto).
H. M. : N'êtes-vous jamais tenté d'ajouter
d'autres instruments à la formation du Soft
Machine ?
H. H. : C'est intéressant du point de
vue de l'écriture musicale, mais dans la pratique
de l'interprétation, c'est difficile. A plus
de quatre, on perd le sentiment de groupe. L'expérience
du septet, qui dura trois mois, fut intéressante
mais exténuante. Bien que les quatre vents
jouent sur partition, on frôlait perpétuellement
la catastrophe. Je crois que la formation actuelle
représente le compromis idéal. D'ailleurs,
le fait que Karl joue surtout du hautbois devrait
quand même représenter un changement
de sonorité intéressant.
H. M. : A ce propos, le fait que Mike se soit consacré
de plus en plus au piano électrique n'a-t-il
pas fait perdre à la sonorité du Soft
Machine un de ses éléments les plus
caractéristiques ?
H. H. : Il est certain qu'en temps qu'instrumentiste,
Mike est devenu de moins en moins original avec les
années, au fur et à mesure qu'il écoutait
plus d'autres musiciens. A l'écoute de gens
comme Chick Corea ou Keith Jarrett, il est passé
au piano électrique et a fini par y consacrer
l'essentiel de son activité. C'est assez dommage,
car je pense qu'il était meilleur à
l'orgue.
H. M. : Comment voyez-vous le futur ? Pensez-vous
qu'il y ait un risque que vous et Mike vous sépariez
jamais ?
H. H. : Je ne sais pas du tout... Ça
dépend du déroulement des événements
et si on travaille beaucoup. Quand vous jouez beaucoup,
vous restez ensemble plus facilement, il y a moins
de possibilités de divergence.
H. M. : Aimeriez-vous entreprendre quelque chose
en dehors du Soft Machine ?
H. H : Oui, éventuellement, en particulier
dans le domaine des sonorités électroniques.
Mais cela représenterait beaucoup de travail,
et si le groupe tourne bien cela risque de me laisser
à la fois trop occupé et suffisamment
satisfait...
(Moins de trois mois plus tard, cependant, Hugh m'invitait
à venir écouter les bandes de l'album
solo qu'il venait de terminer, et dont le titre prévu
est "1984". Mis à part la participation
de quelques musiciens, dont John Marshall (percussions),
Pye Hastings (le guitariste de Caravan) et Gary Windo
(saxo), il est effectivement essentiellement basé
sur des effets électroniques réalisés
à partir du propre jeu de Hugh à la
basse, au saxo et aux percussions, et de l'aveu même
de son auteur, s'apparente plutôt à la
musique concrète.
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Mais, d'une manière générale,
parce que vous écrivez pour un groupe qui est
sur la route, vous ne pensez jamais vraiment à
composer pour un plus grand nombre de musiciens. Personnellement,
ça ne m'est jamais arrivé, depuis l'époque
du septet, et d'habitude, c'est lorsqu'on en vient
à l'enregistrement que certaines possibilités
m'apparaissent et que j'ajoute éventuellement
quelque chose. Dans "Teeth", par exemple,
la partition pour la grosse section de cuivres n'a
été écrite que quelques jours
avant l'enregistrement.
H M. : Considérez-vous donc le studio et
la scène comme deux domaines totalement différents
?
M. R. : Oui.. Malheureusement, nous passons
la majorité de notre temps sur la route, et
peut-être 2 % dans le studio. J'aimerais faire
plus d'enregistrement... Ou plutôt pouvoir consacrer
beaucoup plus de temps à chaque album, au lieu
de devoir se précipiter...
H. M. : N'êtes-vous pas tenté par
le moog-synthesizer ?
M. R. : Je m'en méfie un peu. Je crois
que pour lui rendre justice il me faudrait passer
six mois dessus, sérieusement... J'imagine
qu'on peut s'en emparer, en tirer quelques effets
sonores et les caser sur scène, mais ça
ne m'intéresse pas. Je ne veux pas particulièrement
être une dupe du synthesizer, vous voyez ce
que je veux dire ? Par contre, je pense que maintenant,
avec Karl, le groupe est beaucoup plus ouvert à
l'emploi de bandes magnétiques. Pour Elton,
tout ce qui n'était pas quatre bonshommes et
leurs instruments était un peu suspect.
H. M. : La proportion des improvisations va-t-elle
maintenant diminuer ?
M. R : Je ne sais pas... Pas vraiment, pour
le moment ; mais il y aura une large place pour des
choses qui, sans être vraiment des solos, ne
seront pas non plus écrites, des sortes de
textures de groupe... Le genre de situation où
quatre musiciens jouent ensemble sans qu'aucun d'eux
ne fasse vraiment un solo, mais sans rien de plus
qu'une vague ligne directrice.
H. M. : Pensez-vous que sous sa formation actuelle
le groupe soit plus stable ?
M. R. : Je déteste faire des prophéties...
Je pense que d'une certaine façon nous sommes
des individus assez similaires. C'est probablement
la formation la plus homogène, en termes de
tempéraments et de personnalités, que
le Soft Machine ait jamais possédée.
H. M. : Mais ne pensez-vous pas qu'une des forces
créatrlces du Soft Machine, par le passé,
étalt justement l'opposition entre le caractère
extroverti de certains de ses membres, et le caractère
introverti des autres ?
M. R.: Je vois ce que vous voulez dire, et
en termes de spectateurs, vous avez parfaitement raison.
De toute évidence, ça peut marcher comme
ça, mais ce n'est pas non plus nécessaire.
Et j'ai à l'esprit plusieurs groupes qui ont
des désaccords de personnalité monstrueux
et qui ne sont pas particulièrement attirants...
Et puis, ce n'est pas une situation très tentante.
Ce qui se passe, dans les conditions où nous
travaillons, c'est que les tendances musicales et
personnelles se polarisent à l'extrême,
après un temps. On est alors forcé dans
des positions extrêmes, où les différences
musicales et personnelles deviennent inséparables,
et on ne sait jamais à quoi on réagit
exactement. C'est un phénomène assez
curieux. C'est ce qui s'était passé
avec Robert, en particulier...
Et le 22 novembre 1972, Mike Ratledge, Hugh Hopper,
John Marshall et Karl Jenkins sont entrés dans
les studios CBS de Londres pour enregistrer le sixième
album du Soft Machine...
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Propos recueillis par Hervé Muller
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