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Soft
Machine - Actuel - 1968
SOFT MACHINE
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Les Soft Machine, c'est le monde,
c'est une femme, c'est un livre de William Burroughs, et
plus exactement c'est un groupe Pop-Psychédélique
de Londres. Quoi que ce soit, ils ont récemment fait
une tournée aux Etats-Unis, en compagnie de Jimi
Hendrix Experience. Enveloppés par le film de Mark
Boyle, des projections abstraites les entourant de couleurs
variées, les Soft Machine présentent un spectacle
complet sur la scène, quoique inhabituel pour notre
époque. Ils portent les accoutrements attendus pour
cette performance (de longs cheveux tombant sur les épaules,
des chapeaux de boutiques de gage, de toutes petites lunettes
noires, des chemises multicolores, colliers, clochettes,
etc.). Le batteur Robert Wyatt joue parfois seulement vêtu
d'un bikini. En un mot, ils ressemblent à trois évadés
capricieux.
Les choses ne sont pas toujours celles qu'elles apparaissent.
L'organiste Michael Ratledge fit ses études à
Oxford où il avait obtenu une bourse, remportant
en 1964 le premier prix de philosophie, et plus tard, obtenant
ses diplômes de philosophie et psychologie. Il se
décrit lui-même comme étant: "un
esprit calme mais absent... Je suis du genre de personne
qui fait ce qu'il y a à faire. J'avais projeté
de faire un travail progressif sur la poésie ...
américaine, mais j'ai commencé trop tard pour
pouvoir continuer... A la naissance de notre groupe nous
eûmes beaucoup de difficultés sur le plan financier.
Un jour, alors que je croyais que tout était perdu,
et que nous allions devoir dissoudre le groupe, une amie
de Kevin (Kevin Ayers, le troisième membre du groupe),
lui donna son manteau de vison. Nous le vendîmes,
achetâmes un orgue et commencèrent à
jouer du Jazz d'Avant-Garde. Mais Londres n'était
pas prêt pour nous. Alors nous décidâmes
que nous pouvions jouer ce que l'on nous demandait, appelé
"Pop", et avoir ainsi une chance d'être
entendus."
Les parents de Robert sont libéraux et vieux amis
avec Robert Graves. Robert passa deux été
dans la maison de Graves à Deya (Majorque). Le poète
et essayiste est quelque chose comme un héros pour
lui.
Robert sourit facilement et bien. Quoique étant le
plus excentrique des trois sur le plan habillement, il n'est
pas inconscient du bagage qu'il porte ou de son influence
sur les "non-conformistes".
"J'ai eu de durs moments pour me décider quant
à mes cheveux, je les ai quand même coupés
deux fois. Aucune sorte d'uniforme ne me tracasse. Mais
quand je vis les Rolling Stones pour la première
fois, je décidai que je devais aller dans cette voie,
sans oeillères. Nous avons été catalogués
comme "groupe psychédélique", ce
qui implique que nous sommes tous acides, en dehors de la
normale... et que tout tourne autour de nous dans une sorte
de spectacle permanent. Je ressens cela. Ce que je fais,
je le fais moi-même, et je n'ai besoin d'aucune drogue
pour jouer de la batterie."
Kevin Ayers est beaucoup plus ce que l'on appelle "hippy".
Durant la conférence de presse, il fut décrit
comme suit : "...chanteur, guitariste basse, guitare
solo, compositeur, arrangeur, illustrateur , poète,
mangeur" . Il est né en 1944 à Herne
Bay U.K. (Leo), et fit ses études à Singapour
et à Chelmsford, dans l'Essex.
Il quitta l'école assez tôt et partit en voyage
de Londres, de Canterbury plus exactement, passant par les
Iles Canaries, Casablanca et Majorque, écrivant ses
chansons en route. Il a le don pour écrire les chansons
magiques les plus commerciales (Un garçon sauvage
quand il est maussade).
Kevin est lucide et bon parleur.
"Notre musique, dit-il, est juste une extension des
sottises que nous faisions quand nous vivions ensemble à
Canterbury. C'est la manière que nous préférons
pour passer notre temps, plus que jouer au golf ou au cricket.
Le fait que nous travaillons, gagnons notre pain, est en
quelque sorte accidentel. Quand nous jouons en concert,
nous ne pensons pas à d'autres choses que le plaisir
des gens qui viennent nous écouter. Notre musique
est différente."
Comment est-elle différente ? Kevin nous dit encore
:
"Je pense que c'est parce qu'elle n'est pas réellement
basée sur le blues. Nous restons en dehors des conventions
habituelles. C'est probablement pourquoi nous faisons autre
chose. Les agents sont seulement intéressés
par cela que s'ils peuvent prendre un peu d'argent. Je pense
que cette tournée peut être un point de départ
pour nos idées. La réponse du public a été
fantastique." Les Soft Machine sont un des jeunes groupes
pop faisant rapidement fortune les plus entendus.
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Quand je rencontrai pour la première
fois Michael, Kevin et Robert l'été dernier,
ils avaient joliment échoué sur la Côte
d'Azur française. Avec deux managers de route, ils
étaient partis en tournée de Londres jusqu'à
la Côte d'Azur, voyageant dans une camionnette sur
laquelle était inscrit le nom du groupe: pleine de
quincaillerie électronique. Ils étaient engagés
pour travailler tout l'été au "Festival
de la Bière" sur la plage de Saint-Aygulf. Après
une semaine, ils étaient licenciés. Il semble
que la mauvaise chose dans cela (le manque d'argent) faisait
courir le monde dans une discothèque et personne
ne buvait de bière.
Alors le trio erra autour de Saint- Tropez durant quelque
temps, dormant sur les paliers ou sur la plage. Finalement,
Jean-Jacques Lebel les engagea pour la seconde partie du
"Festival Libre", et ils passèrent chaque
nuit après Le désir attrapé par la
queue", la pièce de Pablo Picasso. Ce fut une
bonne époque, mais comme c'est si souvent le cas,
ils furent payés en proportion inverse de l'engouement
de leur propre musique.
Si éloigné qu'ils investirent plus que leur
cachet en amplificateurs, micros, guitares et autres choses.
Une nouvelle rentrée d'argent leur fut offerte par
leur tournée aux Etats-Unis : 100 dollars par semaine.
En dehors de cela, cependant, ils payèrent Boyle
parce qu'ils pensent que ses projections sont essentielles,
une opinion que leur manager ne partage pas.
Michael a écrit un papier sur Boyle : "Les événements
de Mark Boyle sont contenus dans une présentation
directe de la réalité qui déjà
existe, sans aucune intervention de l'artiste par lui-même...
Attendu que le "Happening" implique l'action,
l'événement est l'effet du Happening : pour
réussir un Happening, il est nécessaire d'agir,
mais on ne peut agir sur un événement. Il
suffit de réaliser le fait qu'un Happening demande.
Un événement est une découverte de
ce qui arrive, une invention active. (Le fait est aussi
une action.)"
Boyle, un Ecossais au patois mélodieux et aux cheveux
longs, a des yeux qui flambent avec chaleur et embarras.
Il explique lui-même : "Le changement le plus
complet d'un individu peut être effectué dans
son environnement; une brusque destruction de celui-ci peut
changer l'attitude de l'individu par rapport à cet
environnement. C'est mon objectif... Je suis certain que,
comme résultat, nous alerterons tellement les gens,
que nous découvrirons l'excitation de la remise en
question de notre entourage comme un objet/expérience/drame,
duquel nous pouvons extraire une expérience esthétique
si brillante et si forte que notre entourage se transformera
par lui-même."
En 1966, Boyle fit l'acquisition de fabuleux projecteurs
qui rendirent possible la projection de ses pièces
les plus ambitieuses intitulées "Terre, Air,
Feu et Eau" et "Les fluides et fonctions du corps".
Dans ce dernier, les fluides du corps humain, tels que le
sang, la salive, la bile, la vomissure et le sperme étaient
projetés sur un écran large avec les réponses
d'un électro-encéphalogramme et d'un électro-cardiogramme
d'un couple faisant l'amour, tandis que les sons du corps
étaient amplifiés dans l'auditorium.
Quoique ses projections sur les Soft Machine soient un peu
plus modestes, elles ajoutent une dimension visuelle excitante
à la musique. Contrairement à de nombreux
autres effets de lumière, il n'utilise pas de poses
ni de gros plans d'aucune sorte. La lumière et le
mouvement obtenus par des liquides chimiques sont déterminés
par des facteurs de chance. Michael écrit :
"... Cette présentation rend possible au spectateur
de redécouvrir l'aspect esthétique de notre
environnement qui est devenu hideux par les abus d'usage
et les habitudes, et de pouvoir être au courant des...
environnements qui étaient auparavant inaccessibles
pour nous."
Les Soft Machine ne font partie d'aucun établissement
musical. Le nom de Jazz ne peut leur être attribué
à cause de leur formation rock, instrumentalement
et d'apparence. En même temps, ce n'est pas assez
commercial pour être catalogué dans le monde
du Pop. Et, quoique le Compositeur Earle Brown adore le
groupe (il veut écrire une pièce pour eux),
les musiciens "sérieux" ne peuvent considérer
cette sorte de musique comme légitime. En dépit
d'un occasionnel manque de contrôle et d'une tendance
à s'étendre trop longuement sur ce qu'ils
font, les Soft Machine sont un groupe unique et satisfaisant,
une synthèse impressionniste d'éléments
variés de Karl Heinz Stockhausen, John Cage, Omette
Coleman, Cecil Taylor, et du Rock lui-même.
Leur son nuageux se déplace en des endroits inattendus
de chemins étranges. Tout est filtré à
travers un "Fuzz Box", gadget électronique
destiné à distordre le son. Ils emploient
énormément 1'improvisation collective. Les
sets sont plus que des suites, chaque morceau entrant dans
le suivant. Contrairement à la plupart des groupes
de rock, les Soft Machine utilisent les crescendos et decrescendos
et incorporent les silences. Je n'ai jamais entendu (et
vu) quelque chose comme cela.
MICHAEL ZWERIN
Ce texte est la traduction
de l'article de Downbeat,
paru en juillet 1968. |