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Auto Soft Machine - Actuel - N° 9 - novembre 1969
AUTO SOFT MACHINE
[Le magazine ACTUEL de Jean Karakos, l'ancien, pas celui de Jean-François Bizot,
demande aux musiciens de Soft Machine de se présenter chacun par quelques lignes:
Ratledge écrit sur le Light Show de Mark Boyle, Hopper offre quelques croquis,
quant à Wyatt, il imagine un faux interview avec UNE journaliste.. ]
S'il n'est pas le plus "populaire" des groupes, Soft Machine est l'un des plus grands, par la constante qualité de ses productions, par son refus de tout compromis avec la gloire, par son appétit. Il l'a encore prouvé pendant sa tournée en France. Soft Machine s'exprime aussi autrement que par la musique. Pour Actuel, Hugh Hopper (guitare basse) a dessiné, Mike Ratledge (orgue) expliqué l'oeuvre du fondateur des Light Shows, Mark Boyle, Robert Wyatt (batterie) a rapporté une interview de lui-même, soit-disant réalisée par le S.L.C. anglais. Trois pièces à verser au Dossier Soft Machine.
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Pendant plusieurs années, Mark Boyle a mis au point les « Light Shows » accompagnant les concerts des Soft Machine, il s'est affirmé comme le précurseur des environnements lumineux de spectacles, tandis qu'il poursuivait une carrière de « peintre », ou, plus exactement, de créateur de structures murales remettant en question le regard de l'individu sur ce qui l'entoure. L'organiste des Soft Machine, Mike Ratledge, agrégé de philosophie, par ailleurs, démonte ici Mark Boyle.
Depuis la déclaration de Picabia : « l'art est le culte de l'erreur », l'art du XXème siècle est concerné par l'utilisation et les implications de l'indétermination dans le processus de création. Les œuvres des dadaïstes Tzara, Arp et Ernst sont parmi les premiers exemples d'utilisation des procédés hasardeux; plus tard, des musiciens comme John Cage, Earle Brown, Morton Feldman et autres seront de plus en plus préoccupés par les procédés aléatoires. La majeure partie des expériences hasardeuses ont limité leur action à des domaines spécifiques restreints de la création, par exemple l'utilisation de méthodes hasardeuses pour déterminer les matériaux à employer dans la composition, fixer le choix de certaines variables à ces méthodes, ou encore (dans Klavierstûck XI de Stockhausen) admettre l'indétermination de la structure générale, et ne retenir qu'une stricte détermination des éléments de composition. Toutes ces expériences sauvegardent, à quelque degré que ce soit, la fonction traditionnelle de l'artiste, le choix, la sélection et l'arrangement. Pour Mark Boyle, la fonction de l'artiste est de faire disparaître cette fonction; ses assemblages, projections et Events (événement très déterminé. Ndlr) montrent son acceptation totale de chaque partie du monde en tant que fait esthétique. Sélectionner, choisir ou arranger consiste à contrarier l'existence du fait. Pour Boyle, l'utilisation des procédés hasardeux est une condition nécessaire pour pouvoir affirmer l'égalité de chaque morceau de réalité, une condition nécessaire pour affirmer la valeur de n'importe quoi par rapport à quelque chose. Dans ses assemblages, il rejette absolument toute possibilité d'interférence à travers le choix et la sélection. De la manière suivante : le lieu géographique de sa construction est défini en projetant une fléchette sur un plan, localisée le plus précisément possible, la surface* qui sera utilisée est déterminée en jetant une équerre métallique qui délimite deux des côtés de « l'image »; un liquide plastique de caoutchouc est alors versé sur la surface à laquelle il adhère étroitement, puis le caoutchouc est retiré; Boyle verse ensuite dans le moule une sorte de mélange de gomme adhésive, l'épikote, qu'il retire finalement. Le résultat est une reconstitution exacte du lieu défini, sans aucune interposition de l'artiste, en fonction de laquelle le spectateur est obligé de remettre en question son attitude devant son propre environnement.
Le développement de l'œuvre de Mark Boyle révèle une diminution croissante du contrôle et de l'arrangement, un souci croissant d'objectivité. Ses premiers dessins et peintures montraient une grande tolérance envers l'incident et l'accident, qui anticipait sur son futur rejet global de l'élaboration et du contrôle; il dessinait les yeux fermés pour réduire le degré de contrôle de la conscience. Une de ses premières œuvres consistait à fixer un pot de peinture à l'angle du sommet d'un cylindre, puis à arracher le couvercle du pot; la peinture se répandait dans le cylindre et formait une mare à son pied. Cette construction révèle la nécessité de commenter les processus hasardeux qui sont responsables de sa formation. Si l'étendue du contrôle de l'artiste est minime dans ses premiers travaux, ce sont encore des compositions. Parlant, en mai 1965 (Bulletin de l'Institut des Arts Contemporains) de son activité à cette époque, même s'il s'agit surtout de son travail dans le domaine des Events, Mark Boyle avoue qu'il n'exclue pas l'arrangement (cette constatation a été plus tard reniée sur son exemplaire personnel) mais il admet aussi que « finalement, le seul moyen par lequel il soit possible de tout dire est la réalité ».
A peu près en même temps, Boyle commença des expériences avec des diapositives chauffées (sur un projecteur, ou entre deux lames de verre. Ndlr) et des projections de liquides bruts (eau, huile... etc) qui furent plus tard développées par les techniques complexes utilisées dans son « Laboratoire sensuel ». L'utilisation des projections de liquides limitent le degré de contrôle qui peut avoir l'artiste. Quand bien même certaines variables des effets peuvent être plus ou moins contrôlées par l'opérateur (couleur, vitesse, densité), les détails des effets chimiques sont finalement incalculables. L'opérateur projette les résultats organiques naturels des réactions chimiques à la chaleur, rendant visible un environnement qui serait normalement inaccessible. Chaque Light Show est une découverte de la complexité et de la beauté de la réalité, à la fois pour le public et pour le créateur. L'acquisition en 1966 de micro-projecteurs augmenta les niveaux de réalité que Boyle pouvait rendre accessibles. Le résultat en fut des pièces comme Terre, air, feu et eau et Fluides et fonctions du corps, dans lesquelles tous les liquides corporels possibles, tels que le sang, la salive, la bile, le vomi et le sperme sont projetés sur un grand écran en même temps que les réponses d'encéphalogrammes et aussi d'électro-cardiogrammes d'un couple qui fait l'amour, tandis que les bruits des corps sont amplifiés dans toute la salle. Les assemblages et les projections de Boyle sont en fait des présentations de la réalité au spectateur. Ces présentations amènent le spectateur à redécouvrir l'aspect esthétique de notre environnement, caché jusqu'alors par des débris d'usages et d'habitudes, à s'éveiller à l'aspect esthétique des environnements. Un Event que Mark Boyle réalisa en 1965 est un exemple très clair de la nature de ce type de présentation. Voici à ce sujet ses propres mots. « Un dimanche de mars, nous avons amené plusieurs personnes, par l'entrée d'un immeuble indiqué Théâtre, le long d'un couloir jusqu'à une pièce occupée par des chaises de cuisine faisant face à un rideau de peluche bleu. On a ouvert le rideau et le public s'est retrouvé assis dans une vitrine, en train de regarder la rue ». Contrairement aux Happening américains et français, qui révèlent habituellement d'une invention dadaïstique de nouvelles réalités, en termes d'antécédents artistiques (cf. l'œuvre de Kaprow, Dine, Oldenburg), les Events de Boyle se satisfont d'une représentation directe de la réalité existante, sans aucune interposition de l'artiste. La différence est reflétée au niveau de la terminologie : tandis que Happening implique action, l'Event est le fait de quelque chose qui arrive; pour présenter un Happening, il est nécessaire d'agir, tandis qu'on ne peut agir sur un Event, il est suffisant de réaliser le fait que quelque chose se passe. C'est la découverte de ce qui arrive, alors que le Happening est une invention active. Le fait contre l'acte.
En 1967, Mark Boyle fut primé à la Biennale de Paris pour un de ses assemblages et il organisa un spectacle comprenant des projections du « Laboratoire sensuel », des chorégraphies de Graziella Martinez et la musique des Soft Machine. Le travail de Graziella Martinez est parallèle en intention à celle de Boyle, dans la mesure où elle s'attache aux possibilités chorégraphiques des objets familiers, par exemple la composition de danses à partir de lignes de mouvement suggérées et, en quelque sorte, déterminées par les contours des objets qu'elle incorpore à la danse : baignoires, tricycles, lits, cages et toboggans. Assister à un spectacle de Graziella Martinez fait redécouvrir les objets de la même manière que regarder un assemblage de Mark Boyle fait redécouvrir tout ce qui nous entoure. Le spectacle fut représenté avec un grand succès au Festival d'Edimbourg et à la Biennale de Paris. En 1969 Boyle souhaite étendre encore davantage ses recherches, dans son effort continu pour redécouvrir l'univers, à la fois pour lui-même et pour nous. La structure s'est progressivement affaiblie pendant toute l'histoire de l'art; le système diatonique a été remplacé par le chromatisme de Wagner qui ouvrit la voie au système sériel puis aux formes indéterminées de John Cage et autres. La responsabilité du public se trouve de plus en plus engagée dans le processus de structuration. L'art devient une attitude face à quelque chose qui arrive. Est-ce une expérience esthétique que de regarder un tableau de Jasper Johns ? Si, en déplaçant son regard de quelques degrés, on fixe le mur de la Galerie, est-ce moins une expérience esthétique ? L'œuvre de Mark Boyle montre l'osmose complète de la vie et de l'art. Boyle s'explique ainsi : « Le changement le plus complet qu'un individu puisse opérer face à son environnement, sans le détruire, est de réviser son attitude vis à vis de lui. C'est mon objectif... Naturellement, tout cela devrait miner la structure sociale, les hiérarchies artistiques, le système des expositions et les conseils municipaux. Mais je suis certain que nous parviendrons à vivre notre vie les yeux grand ouverts, que nous découvrirons l'excitation d'une exploration continuelle de notre environnement, en tant que objet/expérience/drame, de laquelle nous pourrons extraire une expérience esthétique si brillante et si forte que tout ce qui nous entoure sera transformé. »
Mike RATLEDGE
* (Boyle va sur les lieux déterminés par la fléchette sur le plan géographique . N de R)
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Le Soft Machine Ellidge Robert Wyatt. Un reportage de votre super-copine de
« Teenage Rave », Miss Annie-Fannie.
L'ascension météorique des Soft Machine, des profondeurs du Sacré Underground aux glorieux sommets du Hit-Parade international est une histoire extra qui rivalise avec l'Ancien Testament lui-même. Depuis leur fabuleux premier album triomphal « Dance with the Sensational Softies » jusqu'à leur dernier disque (beaucoup plus mûr, beaucoup plus vieux, tout aussi jeune et populaire) « Softly, Softly, for swinging levers only », enregistré avec les Classiques Cordes Emotionnelles du Théâtre National de l'Opéra Tibétain.
Si ce ne sont pas précisément les tripes des Soft Machine, c'en sont un membre essentiel que les parties de percussion de Robert Wyatt, éblouissantes, originales, complexes quoique pourtant cependant si charmantes et si simples, subtilement complétées par le chant sincère, spirituel, noble, lyrique qui a retourné sûrement environ un million d'estomacs pardon je veux dire de cœurs.
La première fois que j'ai rencontré le noble et déjà fort débonnaire, aimable, élégant, spirituel et révolutionnaire Robert Wyatt, dans un cratère de bombe désert aux alentours de Waterloo Station, j'ai été immédiatement violemment frappée en voyant à quel point il est vraiment noble, débonnaire, aimable, élégant, spirituel. Ce qui suit est un bref entretien que j'ai eu l'autorisation de réaliser sur l'épaisse moquette d'algues macrobiotiques au dernier étage luxueux de son immeuble sous-marin au large des Bahamas.
Vous voudrez bien remarquer que l'adoration et le succès qui ont suivi la succession des dix-huit numéros Un des Soft Machine au Hit-Parade ne l'ont pas changé d'un pouce du tout du tout.
AF : S'il vous plaît, voulez-vous me dire quelle a été l'influence sur votre musique de Olivier Messiaen, Terry Riley, Fats Waller, Cecil Taylor, Julian Hastings, Bêla Bartok, Karlheinz Stockhausen, Paul McArtney, Dionne Warwick et des Bee-Gees, sans parler de Kevin Ayers ?
RW : Ah oui, bien sûr, d'accord, étant de l'avant garde et très progressiste et tout, j'ai été très influencé par Olivier Messiaen, Terry Riley, Fats Waller, Cecil Taylor, Julian Hastings, Bêla Bartok, Karlheinz Stockhausen, Paul McArtney, Dionne Warwick et les Bee-Gees, sans parler de Kevin Ayers.
(Après cette analyse brillante, profonde et débonnaire des courants et croisements musicaux modernes et des influences, nous tournons notre interrogatoire vers un plan plus personnel).
AF : Monsieur Wyatt... puis-je vous appeler ainsi, Robert ? Vous paraissez toujours rêveur, dans les nuages, comme si vous étiez constamment à la veilte de découvrir de nouvelles planètes sonores. Je suis assise, vous êtes allongé. Vous rêvez. Tout de suite là. A quoi pensez-vous ?
RW : Je me rince l'œil.
AF : Merci.
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