Bientôt 20 heures ce mardi 16, ambiance détendue sur le
trottoir devant le Divan du Monde. Quelques dizaines de
personnes bavardent gentiment au gré de petits groupes
d'où jaillissent parfois des exclamations étranges
: Moon In June, Rock Bottom, Comicopera, Canterbury...
Soudain les conversations s'arrêtent
et les regards se tournent vers un monsieur en fauteuil
roulant suivi de quelques amis qui remontent rapidement
la rue des Martyrs. A peine ont-ils pénétré
dans la salle de concert que chacun reprend son bavardage,
un léger sourire aux lèvres : il est bien
là ce soir à Paris, et c'est tout simplement
incroyable...
De la manière dont je me suis discrètement
faufilé dans la salle je ne dirai rien si ce n'est
un grand merci à ce musicien qui vient de jouer
sur le dernier album de John Greaves dédié
à la poésie de Paul Verlaine. A peine assis
aurai-je le temps d'échanger quelques propos avec
David Fenech sur son interview de R.W. pour la revue Chronic'Art
(et dont il m'assura que la
version intégrale sera bientôt en ligne)
que Robert Wyatt et J.D. Beauvallet s'installent sur une
estrade qui domine légèrement la salle maintenant
comble.
De ce long dialogue seulement interrompu par la traduction
puis de l'échange avec le public, que retenir ?
les questions sont parfois convenues (Syd Barrett et le
Pink Floyd, les claviers de Rock Bottom, les concerts
qu'il ne fera plus...) mais R.W. se prête au jeu
et répond avec humour, revenant comme à
presque chaque interview sur la tournée américaine
en première partie du Jimi Hendrix Experience ou
sur les concerts de l'été 67 sur la Cote
d'Azur qui firent connaître le Soft Machine en France.
Il évoque son séjour de plusieurs mois à
Paris durant son adolescence et son plaisir à y
être retourné un peu plus tard pour y fréquenter
assidument les caves de jazz du Quartier Latin. S'il ne
s'exprime pas en français, il en comprend parfaitement
les nuances et rectifie ou précise parfois la traduction
s'il le juge utile...
Du studio d'enregistrement comme chambre
de torture ? - "non, ce n'est pas une chambre de
torture, plutôt une extension de ma propre tête"
- à son rapport avec son voisinage à Louth
(Lincolnshire) - "vos voisins savent-ils qui vous êtes
?" "Je ne peux pas, je ne dois pas me préoccuper
de ces questions si je veux continuer à faire ce
que je veux faire.. ce n'est pas mon problème..."
, bien des sujets ont été abordés
dans le plus parfait désordre, comme un puzzle dont
on tournerait les pièces dans tous les sens avant
de tenter de les faire s'emboîter: le plaisir de chanter
en espagnol, l'engagement politique et la recherche du divin
dans la musique soufie, la voix de Brian Eno, Billie Holiday...
Comme un long poême en prose, questions et réponses
tissent une séquence musicale où la voix de
Wyatt si émouvante et si signifiante nous parle de
piano et de trompette à jouer lentement, de chansons
d'amour qu'il n'a pas encore écrites, des deux manières
de composer - en ajoutant ou en retranchant de la matière
sonore - et de sa barbe qu'il a récemment coupée
(un tout petit peu) pour offrir aux oiseaux de son jardin
quelques poils dont ils feront leur nid... (!). Ce qu'il
écoute et ce qu'il n'écoute pas, les musiciens
fabuleux avec lesquels il a joué sur ses derniers
albums - Evan Parker, Gilad Atzmon, bien d'autres aussi
- et surtout cette humilité tranquille et souriante
: "je fais des disques pour remplir les trous de
ma discothèque, pour pouvoir écouter la musique
que je ne trouve pas ailleurs... et lorsque qu'ensuite je
me passe un disque de Mingus, alors là... je me sens
tout petit..."
Pourtant ce soir là c'était lui le plus grand,
et tous ces yeux qui brillaient en l'écoutant nous
parler des hirondelles et des aliens ne me diront pas le
contraire.