Toujours
barbu, jamais barbant,
Robert Wyatt crée de la beauté
envers et contre tout. Une légende
vivante, vraiment vivante.
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Dans un numéro Hors Série paru fin 2003,
la revue Les Inrockuptibles publie son classement des 50 meilleurs
disques rock électro rap de l'année écoulée.
A la 24ème place, devant Jean-Louis Murat (Lilith) mais
derrière Cali (L'Amour parfait), on y découvre
l'album Cuckooland. La chronique de Richard Robert, un rien
emphatique, me touche pourtant. Elle donne en quelques mots
les clés d'un album et d'un musicien "hors-concours".
ROBERT WYATT - CUCKOOLAND
Rykodisc/Naïve
La musique de Robert Wyatt change les perspectives d'écoute,
brouille les critères censés distinguer la "norme" de la "marge".
Elle culbute aussi cette logique selon laquelle la pop, le jazz
ou les musiques nouvelles seraient des entités figées et distinctes.
Ceux qui ne la connaissent que de loin la croient étrange, difficile
à cerner, voire indéchiffrable. Ceux qui ont pris la peine de
l'explorer savent qu'elle constitue un monde à part entière,
où il fait bon se réfugier quand l'époque vire à la grisaille.
De fait, les premières mesures de Cuckooland, où quelques
coulures de cornet glissent sur une nappe de synthé bon marché,
ramènent l'auditeur en terrain familier. Mais le terrain est
si fertile, si prodigue de beautés et d'inventions qu'on se
laisse une fois de plus surprendre.
Il y a d'abord la classe d'un musicien qui réussit à
enchaîner les figures harmoniques, mélodiques et
rythmiques les plus acrobatiques sans jamais donner l'impression
de s'adonner à de pénibles tours de force. Il
y a cette voix à la fois neuve et ancestrale qui unifie
cette improbable mosaïque, cette voix d'enfant centenaire
qui n'est pas - n'en déplaise à Ryuichi Sakamoto
- "la plus triste du monde": simplement la
plus littérale et la plus musicale du monde, comme en
témoigne la relecture limpide d'Insensatez, le
standard de Tom Jobim.
Il y a aussi l'extraordinaire fond de jeu d'une équipe
d'instrumentistes qui, de Karen Mantler à David Gilmour,
du clarinettiste israélien Gilad Atzmon à la tromboniste
Annie Whitehead, donne à chaque trait mélodique
la couleur et la vibration requise. Il y a enfin cette place
nouvelle accordée au jazz, qui n'apparaît plus
seulement en filigrane, mais de manière très explicite,
comme sur ces véritables airs à swinguer que sont
Old Europe ou Trickle Down. Cet hommage à
la musique qui l'a éveillé n'est pas le seul moment
fort d'un disque extrêmement dense : toutes les chansons,
ici, peuvent facilement faire l'objet de plusieurs niveaux de
lecture (musical, poétique, sentimental, politique...),
sans que la limpidité ni la légèreté
de l'ensemble en soient pour autant altérées.
S'il est un musicien hors compétition, l'Anglais n'a
pas renoncé pour autant à son amour du jeu. Et
c'est bien ça qu'on entend de bout en bout dans Cuckooland.
C'est peut-être l'enseignement délivré
par l'oeuvre de Robert Wyatt : l'amour de la musique, quand il
est porté par une telle fraîcheur d'intention et
d'expression, rend beau, intelligent, heureux et sensible. Une
vérité qu'on est en droit d'estimer naïve,
voire mièvre, mais qui trouve pourtant dans Cuckooland
sa plus indiscutable transcription. Neuve comme au premier jour
et belle comme l'antique, la musique de Wyatt renferme à
la fois tout le possible du monde et les bruissements de la vie
simple. Cette prouesse , accomplie avec l'humilité et la
droiture d'un homme qui ne s'est jamais vu plus grand qu'il n'était,
mérite bien qu'on la célèbre avec un peu
de grandiloquence. Car elle rend, elle aussi, cette planète
plus intéressante et, tout simplement, plus vivable.
Richard Robert
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