Shipbuilding/Memories Of You/'Round Midnight
1982

Robert Wyatt

   
 


 
TELERAMA.FR - 19 septembre 2012

“Round Midnight” : le déchirement, l'émerveillement…

Les disques rayés, le blog musique de François Gorin
 

Des années durant, il n'y a eu entre Robert Wyatt et moi que Rock Bottom. C'était l'alpha et l'oméga, un puits sans fond, un jour sans fin dans la nuit noire. Le cri primal d'un vieil enfant noyé dans la musique et s'accrochant à sa voix. Dans cet océan venait s'engloutir le reste, connu (ses palinodies chez Soft Machine) ou inconnu (ses aventures avec Matching Mole). Puis au début des années 80, sont apparus comme une géniale incongruité des singles du même Wyatt. Sur label Rough Trade, le Gallimard de la new wave, ou plutôt ses éditions de Minuit. L'ex-batteur condamné à la position assise, vieux sage avant l'âge et agitant un éternel drapeau rouge près de son cœur, chantait les autres. Illuminait le Shipbuilding que la guerre des Malouines inspira (le mot est faible) à Elvis Costello. Puis s'en allait rôder autour de minuit quelques années avant Tavernier. Sans faire offense à Jackie Paris, qui l'interpréta dès 1949, ni à Ella Fitzgerald ou à June Christy, qui lui donnèrent chacune un peu, beaucoup, ni même à Claude Nougaro qui l'adapta dans sa langue en 1979, le sublime thème de Thelonious Monk trouvait sa voix la plus singulière. Devenait chanson à jamais. Pour mieux la faire sienne, Robert Wyatt lui invente un autre texte. Celui de Bernie Hanighen évoquait la tristesse d'après une rupture. Minuit est là ce moment où l'esseulé(e) est taraudé par les souvenirs et le regret de l'absent(e). Puis celui où l'espoir de son retour prend la voie des anges. Le timbre doucement fêlé de Wyatt rend un son plus philosophe. L'heure est ici à peser les sad times et les glad times, à en tirer le meilleur, let your spirit start the fight… Rien n'échappe aux inflexions de cette voix blanche et sans caractère défini, d'une matière et d'une couleur jamais tout à fait fixées : le déchirement, l'émerveillement… Ou tout simplement l'hommage désintéressé aux accords nés des doigts spatules de Monk, un autre jour, une autre nuit, dans un autre temps.




 
NOTES - N° 9

Robert Wyatt : Shipbuilding (Rough Trade)

P. Schuster
 





A première vue, on flaire le disque de circonstance à la Lennon, Capaldi et les autres: un prétexte (les malouines), une star du moment (Costello), on se dit le tour est joué et nous avec. Et bien non. C'est du bon, pas de la "B" side enrergistrée la veille. Loin de là. Plutôt du ciselé patiemment, du vieilli a la cave, bref du grand cru. Magnum, en plus. Dans la bouteille, y a un bateau et WYATT, capitaine d'un instant, nous invite, voyage divin, même si trop court.. Même mis quinze fois bout à bout, c'est trop court mais c'est toujours un ravissement. Perpétuel. Imaginez: un léger bruit de vagues, le vent qui doucement se lève et WYATT qui lentement s'avance: "Is it worthy?" Yes, it is et urgent en plus.





 
       

Critiques/Reviews