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 Tout sur Robert - Les inrockuptibles - N° 678 - du 25 novembre au 1er décembre 2008


TOUT SUR ROBERT

Il y a un an, alors qu'on l'invitait à tirer un bilan de sa carrière solo, entamée en 1970, Robert Wyatt eut cette réponse : "A vrai dire, je n'imaginais pas que j'éprouverais aussi longtemps le besoin déjouer de la musique. Ce n'est que dans les années 90 que j'ai compris à quel point c'était une drogue dont je ne pouvais pas me passer... Je me suis toujours senti étranger au monde des musiciens : j'étais convaincu que je n'étais qu'un visiteur, un touriste. Par le passé, certains ne se sont d'ailleurs pas privés de me le faire comprendre !" En prononçant ces derniers mots, l'Anglais n'avait montré aucun signe d'amertume. Et pour cause : à 62 ans, cet authentique franc-tireur, zigzaguant depuis toujours entre les lignes de la pop, du jazz, de l'electro ou de l'expérimentation, venait une fois de plus de se percher au faîte de son inspiration avec son dernier album, l'ambitieux Comicopera.


Mais ses propos rappelaient que son parcours - dont ces neuf rééditions reprennent le tracé erratique - n'avait pas été une allée de roses.

Avant de devenir le fringant patriarche d'une vaste parentèle de musiciens sans œillères ni barrières, Wyatt a dû déjouer toutes les embûches que le sort s'est plu à semer sur son chemin. A l'aube des années 70, il lui faut ainsi digérer son départ douloureux de Soft Machine, groupe phare de l'agit-pop anglaise dont sa batterie, sa plume et sa voix acrobates ont largement façonné l'esthétique. Il panse alors ses plaies en bricolant un premier disque solo (The End of an Ear, non réédité), puis en s'ouvrant un nouveau terrain de jeu avec sa formation Matching Mole. Wyatt plane enfin, mais il va être fauché en plein vol : le 1er juin 1973, lors d'une fête copieusement arrosée, il chute du quatrième étage d'un immeuble londonien. Désormais cloué sur un fauteuil roulant, il réussit à brosser Rock Bottom (1974) : une peinture sonore de la plus belle eau, dont la singulière grâce plastique (coulures de claviers, voix translucide) marquera nombre d'esprits, de Pascal Comelade à Mark Hollis (Talk Talk), de David Sylvian aux éclaireurs du post-rock.



Réaliser un chef-d'œuvre est une chose ; lui survivre en est une autre. Wyatt y parvient dès Ruth Is Stranger than Richard (1975). Dans cet album aussi bariolé et débridé que Rock Bottom était épuré et intimiste, il laisse libre cours à ses deux grandes passions : la mélodie et l'impro. Sans disparaître des radars (il collabore avec Brian Eno, Michael Mantler ou Henry Cow), Wyatt entre ensuite dans une longue période d'hibernation créatrice. Repoussé dans la marge, il ne refait surface qu'avec Nothing Can Stop Us (1982), compilation de singles composée de reprises magnifiquement dépouillées (Chic, Violeta Parra, Billie Holiday...) et tendue par la colère que lui inspire un thatchérisme alors triomphant.


Dans la dèche, Robert Wyatt trouvera pourtant les ressources pour composer en solitaire de brillants albums de quat' sous : à base de claviers cheap, Old Rottenhat (1985) et Dondestan (1991) posent les bases d'un arte povera unique en son genre, qui met en valeur l'aveuglante blancheur de son chant.



Par la suite, l'Anglais passera encore par les affres de la dépression. Mais la vie lui sourira à nouveau avec Shleep (1997) puis Cuckooland (2003) : deux disques irisés de mille reflets sonores (de la pop chercheuse au be-bop, de l'ambient aux musiques latines), qui marquent à la fois un retour au collectif (Eno, Paul Weller ou Karen Mantler l'épaulent dans ces projets) et à des conditions d'enregistrement décentes. Aujourd'hui, Wyatt plus fort et libre que jamais, incarne un possible maître à penser pour tous les amateurs d'école buissonnière : pas si mal pour un homme qui pensait traverser comme une ombre l'univers de la musique.

Richard Robert

Albums Rock Bottom ; Comicopera ; Ruth Is Stranger... Nothing Can Stop Us ; Old Rottenhat ; Dondestan ; Shleep ;Cuckooland', Théâtre Royal Drury Lane (Domino/Pias)
Coffret EPs (5 CD, Domino/Pias) www.dominorecordco.com


       
     
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