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 Robert Wyatt - Le ventre de l'architecte - Rock & Folk - N° 385 - septembre 1999


ROBERT WYATT - LE VENTRE DE L'ARCHITECTE






Sage à la voix d'or, reclus volontaire, Robert Wyatt a tout fait pour qu'on l'oublie. C'est raté. Ses apparitions nous manquent, ses chansons nous hantent. Pour Rock&Folk, il accepte de rompre le silence: on tourne.

 


Robert Wyatt a été le batteur, beaucoup, et le chanteur, un peu, de Soft Machine, une formation psychédélique anglaise souvent à l' affiche avec le Pink Floyd de Syd Barrett ou tournant à travers les USA en première partie du Jimi Hendrix Experience. Peu à peu, cette formation muta jusqu'à devenir, à la fin des sixties, une des sources créatrices du jazz-rock. Son succès fut considérable, notamment en France et en Allemagne. Le 1er juin 1973, Wyatt chutait d'un quatrième étage et perdait l'usage de ses jambes. Un an plus tard paraissait "Rock Bottom", disque solo qui a profondément marqué une génération, le genre de galette qui aide à mieux rêver et se doit de figurer dans la trousse de premier secours à emporter sur la fameuse île déserte. "Ruth Is Stranger Than Richard", paru l'année suivante, est l'indispensable complément du précédent. Depuis, se sont succédés quelques parcimonieux mais remarquables albums entrecoupés de longs moments de silence et de flamboyants singles, reprises de chansons connues magnifiées à la sauce Wyatt ("Strange Fruit" , "l' m A Believer" , "At Last I Am Free", "Shipbuilding"...), ou textes militants, hommages aux opprimés et aux victimes du racisme ou/et du fascisme ("Biko" , "Te Recuerdo Amanda" , "Namibia" , "Caimanera"...), toujours chantés de façon unique et aussitôt reconnaissable, comme son interprétation de l'Internationale. En effet, cas assez rare chez les musiciens anglo-saxons, les Wyatt ont été longtemps membres du parti communiste anglais et commentent cet engagement d'une seule voix:

"A la fin des années 70 en Angleterre, la menace de l'extrême droite se faisait plus pesante et pour la combattre nous pensions qu'il était indispensable de s'engager. Le parti communiste anglais offrait le double avantage de n'avoir accédé à aucun échelon du pouvoir et d'être le seul parti réellement antiraciste au sens large du terme, ouvrant notamment un réseau de communication privilégié avec les Africains ou les Sud-Américains. Nous l'avons quitté après son hara-kiri, lorsque les jeunes loups du parti ont voulu s'approprier quelques bribes de pouvoir. Ici, nous sommes passés en quelque sorte de la macro à la micropolitique, nous battant sur des problèmes focaux dans cette région dominée par des grands propriétaires terriens conservateurs."

Fin 1997, après plusieurs années de silence, "Shleep" , un disque très proche de "Rock Bottom" dans sa conception, paraissait chez Hannibal/Ryko. Puis, bénéficiant d'une nouvelle présentation, presque toute l'oeuvre de Wyatt fut rééditée, la série se terminant par le coffret "EPS", cinq mini-CD qui compilent singles, remixes de "Shleep", la BO "Animals" et "Calyx", un live de 1974.


Une centaine de filles minimum

Robert Wyatt n'aime ni Margaret Thatcher ni Richard Branson et il a bien raison car, grâce aux privatisations à tous crins de l'une et à la boulimie de pouvoir de l'autre - en plus de ses avions et de son ballon, Branson a également racheté des lignes de train - se rendre à Louth, Lincolnshire, est devenu un jeu de piste à dérouter Sherlock Holmes lui-même. C'est dans cette petite ville typiquement anglaise, du brin de gazon aux grosses cheminées géorgiennes, à 150 miles au nord-est de Londres, que l'ancien batteur de Soft Machine a élu domicile, il y a une dizaine d'années. Alfie (Alfreda Benge), sa femme depuis 1972, explique très rationnellement ce choix:

"Il nous fallait une ville avec un vrai centre, des commerces à proximité et suffisamment loin de Londres pour pouvoir acquérir une maison assez grande, adaptée pour Robert, à un prix raisonnable, c'est-à-dire moins cher que notre appartement de la banlieue londonienne dans lequel nous nous sentions de plus en plus à l'étroit. De plus, la musique était diversement appréciée par le voisinage."


Si leur situation financière s'est améliorée avec "Shleep" et les rééditions récentes sur Ryko, les Wyatt ne sont pas bien riches, leur ancien manager s'étant, semble-t-il, approprié les royalties des disques de Soft Machine et chez Virgin, à l'évidence, c'est surtout le patron qui s'est enrichi. Il est difficile de faire plus british que la maison des Wyatt, avec ses larges fenêtres à carreaux et ses jardins fleuris séparés par une remise en bois. Elle est certes pourvue d'un étage mais présente surtout l'avantage de posséder un rez-de-chaussée spacieux, s'étalant en longueur de part et d'autre de la cuisine. Dans la première pièce, lumineuse, se côtoient 33 tours et CD, un piano orné d'une photo de Billie Holiday, une petite batterie et des cymbales, une trompette, une table de mixage et un magnétophone...

"Quand je compose, j'utilise les instruments comme un enfant: je tapote, je pianote, je souffle en attendant l'inspiration qui viendra quand elle le voudra bien, comme les rêves au dormeur."

Alfie et Robert réservent un accueil chaleureux aux visiteurs. Plein de gentillesse mais aussi de malice et d'humour, foncièrement politiquement incorrects, ils boivent et fument énormément. Très en forme, Robert semble apprécier l'art de la discussion tout en triturant élégamment sa barbe et si, commencée autour d'un thé, la conversation s'est déroulée en anglais, le français aurait tout à fait convenu car il le maîtrise fort bien.

"Mes parents étaient francophiles, ainsi mon père, qui par ailleurs était un bon pianiste classique, aimait beaucoup Catherine Sauvage, Juliette Gréco, Jean Gabin, Ravel, les écrivains, le cinéma et le vin français. A 10 ans, j'ai passé un trimestre à Paris chez des amis de la famille. De cette culture familiale j'ai conservé un goût certain pour le cinéma, en particulier Rohmer, et le vin français."

Si Robert Wyatt, né à Bristol le 28 janvier 1945, garde un bon souvenir de ses premières années passées dans la banlieue de Londres, il a détesté son adolescence campagnarde entre Canterbury et Douvres :

"Aujourd'hui je suis heureux d'habiter à la campagne mais, à l'époque, rien ne pouvait m'arriver de pire. En outre, je haïssais le lycée et le travail scolaire au grand désespoir de mon père qui avait réussi de brillantes études universitaires. Je trouvais alors des refuges solitaires dans la peinture, la poésie et la musique, le jazz que j'avais découvert grâce à mon père qui avait des goûts éclectiques et aux disques de mon grand frère, Mark. Chaque fois que je le pouvais, je me rendais à Londres pour assister à des concerts.

Mon initiation à la batterie a démarré en tapant avec les pieds sur une vieille machine à écrire de ma mère qui était prof de journalisme, puis en m'entraînant sur des papiers. Le rock ne m'intéressait pas spécialement. Mais lorsque je débarquais dans les fêtes avec des disques comme 'Dizzy Gillespie And His Band At Newport', on ne peut pas dire que je rencontrais un franc succès auprès des danseurs qui préféraient de loin les Everly Brothers. Aussi, étant piètre danseur moi-même, il ne me restait plus qu'à devenir batteur dans un groupe de rock pour draguer les filles de mon âge. De ces formations adolescentes, je me souviens d'un duo intitulé Norman & Robert. C'était moi, Robert le batteur, et Norman, un pianiste originaire de Liverpool - ce qui l'assurait déjà de la présence minimum d'une centaine de filles dans la salle qui chantait à la façon de Little Richard."



Attrapé par la queue

Par la suite, on parlera d'une scène de Canterbury réunissant divers groupes plus ou moins qualifiés au début des années 70 de progressifs tels Soft Machine, Caravan, Kevin Ayers Whole World, Khan, etc. Certains d'entre eux viendront des Wilde Flowers:

"De mon point de vue, cette prétendue scène de Canterbury est l'invention d'un journaliste, tout comme celle de Liverpool. Si on veut vraiment appliquer la notion de scène à un lieu, Londres semble plus indiqué ou, de nos jours, Bristol.




De toute façon les gens sont déçus lorsqu'ils m'interrogent sur les sixties. Je n'en garde pas de très bons souvenirs. J'étais très souvent soûl pour vaincre ma peur de monter sur scène."

Soft Machine, au nom tiré d'un roman de William Burroughs et au sein duquel sévissaient à l' origine Daevid Allen (futur Gong) et Kevin Ayers associés à Robert Wyatt et à l' organiste Mike Ratledge, proposait à ses débuts une sorte de free rock pimenté de psychédélisme, de jazz et de dadaïsme. Ce mélange était particulièrement prisé par la scène underground de Londres où le groupe participa à tous les grands événements musicaux et dont on peut redécouvrir la saveur dans les disques 'The Soft Machine" et "Soft Machine Vol 2". Par la suite, réduit à un trio (Wyatt, Ratledge et le bassiste Hugh Hopper) bientôt renforcé par une section de cuivres,
le groupe publiera en janvier 1970 "Third", un des albums fondateurs du jazz-rock dans son aspect le plus attractif et qui occupera une place de choix dans la discothèque idéale des Français au début des années 70. D'ailleurs, Soft Machine a beaucoup arpenté les voies gauloises : Paris, Lyon, Grenoble, Nantes... mais aussi deux mois dans le Sud-Est en 1967.

"Nous avons souvent joué en France, entre autres à Saint-Tropez. Un soir, Jean-Jacques Lebel avait organisé un happening autour d'une piscine dans une grande villa. Tout le monde devait être nu, y compris les musiciens. Moi, derrière ma batterie ça allait encore, mais imaginez la tête de mes camarades nus au bord de l' eau avec des fils électriques tout autour d'eux. Pour clore la soirée, J-J Lebel a égorgé un poulet dont il a répandu le sang sur le corps des femmes. Une autre fois, nous nous sommes produits sous un dôme géodésique conçu par Keith Albarn, le père de Damon, le chanteur de Blur. Nous avons également parlicipé à une adaptation du 'Désir Attrapé Par La Queue', une pièce de théâtre écrite par Picasso. Durant la tournée américaine (avec Andy Summers, futur guitariste de Police à la place d'Allen) on s'est extrêmement bien entendu avec Jimi Hendrix. Un type très cool et gentil qui avait des facultés extraordinaires pour mémoriser la musique: on lui faisait entendre un morceau, dix minutes plus tard il pouvait le reproduire à la guitare. Nous avons jammé ensemble à plusieurs reprises aux USA et en Angleterre. Nous étions aussi très amis avec Pink Floyd qui, plus fortuné que nous dès le départ, nous a souvent dépannés et prêté du matériel. Cela dit, au sein de Soft Machine, j'ai toujours ressenti une certaine condescendance pour le jeune batteur que j'étais. Ainsi 'Moon In June' (sur l'album 'Third") est en fait mon premier enregistrement solo, Ratledge et Hopper n'intervenant que sur la fin parce qu'ils n'appréciaient que modérément cette composition. On a longtemps pensé que j'avais volontairement quitté le groupe. En réalité j'ai été viré et l'ai très mal vécu, tout comme mon échec scolaire. Cette éviction a renforcé un manque de confiance en mes capacités."

Finalement, c'est Soft Machine qui pâtira le plus du départ de Wyatt, le groupe perdant de son originalité pour s'étioler dans un jazz-rock morose. Robert, qui avait déjà publié '"The End Of An Ear", son premier album solo chez CBS, se relance vite dans une autre aventure collective, Matching Mole, dont deux disques, "Matching Mole" et "Little Red Book" [sic], paraissent en 1972. Initialement, les chansons qui prendront leur forme définitive sur "Rock Bottom" (produit par Nick Mason, le batteur de Pink Floyd) furent écrites pour une nouvelle mouture de Matching Mole mais sa chute accidentelle du 1er juin bouleversa tous les projets de Robert Wyatt.

"je suis resté sur un lit pendant un an, entièrement pris en charge. Ce qui laisse du temps pour réfléchir et composer. De fait, ma vision de la musique n'était plus la même. La batterie était tout mon univers, tout ce que j'avais toujours voulu faire, au point qu'on peut dire que je n'ai pas été un bon père parce que je ne pensais qu'à jouer de la batterie - mon
fils, né en 1966, vit maintenant à Lincoln, à 25 kilomètres d'ici, et ne s'intéresse pas particulièrement à la musique. Mes compositions ont donc été à la fois recentrées sur le chant et sur le fait que je n'avais plus besoin d'un groupe mais ponctuellement de musiciens pour mettre en forme mes idées.




Surmonter la peur

Break pour que le photographe profite des derniers rayons du soleil.
Un bon moyen de se faire remarquer par son voisinage: être photographié en fin de journée, devant un caviste, par un trompe-la-mort bondissant au milieu de la circulation, bardé d'appareils de toutes sortes.

"Mes voisins, en général, ne savent pas que je suis musicien et comme je veux entretenir de bons rapports avec eux, je ne leur propose pas d'écouter mes chansons. En revanche, rapporter un autographe de Paul Weller, que je respecte énormément en tant qu'homme et musicien, voilà qui force l'admiration dans une ville de province au Royaume-Uni." Il est temps de transmuter le thé en vin rouge dont les Wyatt sont grands amateurs ("On dit que je suis un chanteur typiquement anglais, pourtant je n'aime pas la bière") et de prendre des clichés d'intérieur avec Robert soufflant dans sa trompette une émouvante variation de "Sketches Of Spain".

Le 8 septembre 1974, Robert Wyatt donne un concert au Drury Lane Theater de Londres dont une chanson, "Calyx", resurgira 25 ans plus tard sur le coffret "EPS" :

" Le concert a été enregistré dans son intégralité, mais la bande n'est pas de bonne qualité. Seuls, à mon avis, deux ou trois morceaux sont récupérables." Une courte tournée européenne avec Henry Cow est mise sur pied dont une prestation mémorable au théâtre des Champs-Elysées en mai 1975. Depuis, Bob n'aura fait qu'une brève apparition en décembre 1981 avec les Raincoats. "A l'époque, Henry Cow m'avait totalement pris en charge. Aujourd'hui je n'ai pas envie d'assumer la responsabilité matérielle d'engager un groupe.

Déjà, par moments, je me demande comment je trouve l'énergie suffisante pour composer alors que je serais si bien à boire un coup et à paresser, lire ou regarder des films. Et puis je me sens à l'écart du mouvement général, mon savoir-faire reste artisanal : je crée une ambiance musicale et, seul dans mon coin, je fabrique, j'assemble le puzzle pour construire une chanson et cela autant de fois qu'il m'est nécessaire, comme au cinéma par opposition au théâtre où la présence du public impose en même temps une précision programmée et un affrontement physique qui aident à surmonter sa peur, dimension que je ne maîtrise plus sans ma batterie. Par ailleurs, l'idée de rejouer les mêmes morceaux jour après jour me rebute. Enfin, quand je vois les files d'attente devant les salles de spectacle, le fait d'envisager que ces gens pourraient venir exprès me voir et m'entendre, moi, m'angoisse par crainte de les décevoir." Alfie: "Récemment des Italiens ont organisé un concert en l'honneur de Robert. Ils l'ont appelé au téléphone au milieu du spectacle: quand Robert a décroché, la salle lui a fait une ovation. Ça l'a beaucoup touché, au point de le paniquer."



Atmosphère, coloration, sonorité

Après l' épisode Virgin, Wyatt était découragé et, sans le soutien d'Alfie et la rencontre en 1980 avec Geoff Travis, patron de Rough Trade, il aurait sans doute définitivement abandonné la production de disques. Parmi les albums enregistrés pour ce label, Robert affiche une préférence pour "Dondestan" paru en 1991 et remixé en 1998 lors de sa réédition chez Ryko : "C'est la réussite d'un pari personnel, c'est se dire: Est-ce que je peux le faire ? Et je l' ai fait, concevoir et réaliser un album complet entièrement par moi-même. D'autre part, pour 5 titres sur 10, j'ai suivi un processus inhabituel: j'ai retrouvé des textes d'Alfie remontant à une dizaine d'années que j'ai mis en musique alors que d'habitude le procédé est inverse : les paroles sont écrites en même temps ou après la trame musicale."


"Shleep", qui marque un retour à une structure plus classique, regroupe un certain nombre d'intervenants dont, fait assez rare chez Wyatt, plusieurs guitaristes tels Philip Catherine, Paul Weller et Phil Manzanera : "J'ai redécouvert la guitare rock et le blues ("Blues In Bob Minor") avec trente ans de retard." Après une tentative infructueuse trois ans plus tôt, il se remet au travail composant et enregistrant peu à peu le contenu de l'album dans son salon de musique, agençant avec précision chaque chanson. Phil Manzanera l'invite alors à utiliser son propre studio en lui accordant des facilités financières.


Alfie:
"Nous y sommes restés 42 jours. C'était la première fois que Robert n'avait pas besoin d'avoir le regard rivé sur la pendule et qu'il pouvait accorder un temps suffisant au mixage. Nous avions une sorte de forfait payable à tempérament." Robert : "Pendant l'enregistrement à cause de mauvais souvenirs de séances en groupe ou d'un manque de confiance en moi pour diriger plusieurs personnes à la fois, j'ai entrepris les musiciens un par un, un jour Paul Weller, un autre Brian Eno... Ils ont su apporter leur touche personnelle dans un cadre strictement défini. Quand j'entre en studio, je sais quelle atmosphère, quelle coloration, quelle sonorité je recherche puis, dans un second temps, une petite variante, un apport inattendu peut s'imposer de manière imprévue." Alfie: "Une fois 'Shleep' terminé et ayant enfin récupéré les droits des disques précédents, nous avons pu négocier avec un label, en l'occurrence Ryko, un contrat sur une base égalitaire, prenant en compte aussi bien le nouveau disque que nos désirs concernant la présentation des nouvelles rééditions. Ainsi la compilation sous la forme d'un double CD, publiée par Virgin, ne me plaisait pas du tout. Pour 'EPS', je suis parti du principe que celui qui aimait 'Shipbuilding', par exemple, ne voudrait pas forcément écouter 'The Animals' à la suite, d'où cette idée de cinq EP qui nous plaisait beaucoup."



Note après note

Pendant le laps de temps, quelquefois important, qui s'écoule entre chacun de ses disques, Robert Wyatt offre généreusement sa contribution soit à des projets collectifs le plus souvent militants, soit aux réalisations d'autres artistes. "Toutefois j'ai tellement de mal à écrire que j'essaye de garder mes propres compositions pour mon usage personnel."

Les enregistrements s'effectuent de toutes les manières possibles mais en tout cas pas sur Internet : "Ma compétence en terme de manipulation des machines s'arrête au grille-pain."

Un article complet suffirait à peine pour rendre compte de ses innombrables collaborations. Ce jour-là, Wyatt nous fait écouter à plein volume un des deux titres, datant de 1998, qu'il interprète sur un double CD, hommage à Federico Garcia Lorca, "De Granada A La Luna" (Phonomusic) et en explique la genèse :

"j'ai posé le texte sur le piano et commencé à chercher la musique adéquate. Lorsque tout a été en place, j'ai démarré l'enregistrement avec, à la contrebasse, Chucho Merchan, un bassiste colombien déjà présent sur 'Shleep', en lui indiquant le tempo et les notes exactes qu'il devait jouer, non pas dans un glissando à la Ry Cooder, par exemple, mais en décomposant son mouvement note après note. Parallèlement suivant une idée d'Alfie, je lui ai demandé d'exécuter une autre partie de contrebasse, cette fois-ci à l'archet mais de façon totalement libre, un peu à la manière du free jazz, et j'ai superposé les deux."

Le résultat est formidable, d'autant qu'il va chanter la partie de basse d'une voix aux capacités et au feeling extraordinaires. Cette voix que certains exégètes en période de ramollissement du cerveau ont qualifiée de non-voix.

La soirée se terminera au pub après un bon repas préparé par Alfie. Dans le hall Robert Wyatt remarque une affiche pour le prochain concert en ces lieux d'un chanteur dans le style Jo Ringard et ses Castors Magiques, annonçant avec emphase le grand retour du rock'n'roll. Un coup de fauteuil à droite, un coup de roue à gauche et Robert s'en ira en chantant "Tutti Frutti". Le prochain Wyatt sera-t-il rock' n' roll ?


Philippe Thieyre

Photos : Fabrice Demessence

Discographie Robert Wyatt disponible chez Sony et Ryko


       
     
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