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 So Wyatt... - Batteur Magazine - N° 162 - octobre 2003





Tout le monde dit de ce héros de la batterie des années 70 que sa discographie est inclassable.


C'est sûr qu'il fait partie de ces rares artistes à n'avoir fait que comme bon lui semblait. A l'occasion de la sortie de son dernier album, "Cuckooland", nous ne pouvons manquer le rendez-vous avec cet extraordinaire personnage.



Robert Wyatt est simplement un héros de la batterie, un de ceux qui ont su graver leurs lettres au firmament d'un style de musique déprécié de nos jours mais qui reste une étape musicale fondamentale : le rock progressif. Robert Wyatt a su compter parmi les piliers indispensables de l'élaboration de ce style, au même titre d'ailleurs que Pink Floyd. Dans les années 70, alors que les chansons de pop et de soûl étaient conditionnées par le carcan d'une structure quasi immuable (couplet-pont-refrain-couplet) et d'un format radio (3*30), une série de musiciens - pour la plupart britanniques - se sont évertués à détruire les structures pour imprimer aux chansons de nouvelles formes, plus libres, plus folles. Les délires sonores et instrumentaux n'avaient ici pour limite que le bon goût — limite largement franchie dans certains cas. Dans ce contexte où la pop se mêlait au jazz, le rock à la musique classique, Soft Machine a joué un rôle primordial. Mais on se répète. Après le départ de Robert Wyatt, Soft Machine sombrera dans les méandres un peu froids d'un jazz-rock sans âme, pendant que Wyatt fondera Matching Mole - jeu de mots sur la traduction française de Soft Machine, "Machine Molle". Il faut dire que le groupe de l'école dite de Canterbury n'a pas vraiment apprécié l'ascendant que prenait le batteur sur le groupe. Et pour cause, l'humour et la créativité semblaient de plus en plus lui appartenir. Cet élan créatif va trouver nourriture dans un traumatisme qui aurait pourtant dû détruire Robert Wyatt. Alors qu'il préparait le troisième album de Matching Mole, Robert Wyatt, totalement torché, participe à mettre une ambiance de feu à une soirée en se jetant par la fenêtre. Résultat, six mois d'hôpital et surtout une hémiplégie définitive. Impossible donc de jouer de la batterie. Pour l'excellent batteur, c'était sûrement un traumatisme insurmontable, mais pour le compositeur c'est l'opportunité de ne se focaliser que sur la création. Une création qui le pousse à réaliser des albums inclassables.

Quelle ambition pour le compositeur sur ce dernier album ?
«
Oh là, ambition ? J'essaie juste de jouer et trouver les meilleurs sons que je peux. En ce sens, j'ai l'impression de toujours réaliser le même disque, je tente juste de mieux le faire sonner (rires). Quand j'écoute mes anciens albums, je me dis : "tiens j'aurais dû faire ça comme ça" et maintenant je sais comment le faire sonner. Pour l'instant, je me dis que « Cuckooland » est le meilleur disque que j'ai fait, jusqu'à ce que je réalise que j'aurais pu faire mieux. »

Un travail de studio avant tout pour l'homme blessé qui ne monte plus sur scène depuis son accident. Peu lui importe de "défendre" son disque en tournée, pour lui la musique se défend d'elle-même, pour autant qu'elle ait besoin d'une défense.

«
Je n'ai pas envie de monter sur scène. Premièrement parce que je suis trop timide à présent. Quand je jouais de la batterie et que j'étais sur scène, déjà j'étais complètement ivre la plupart du temps et, ensuite, la batterie était une sorte de protection. Deuxièmement parce que... je pense que l'image la plus appropriée pour te décrire ce que je ressens par rapport à la scène serait celle d'un mariage fabuleux qui se conclurait par un divorce humiliant. Même si le mariage était magnifique, le souvenir ne l'est pas. C'est comme quand tu as un accident de voiture. Tu pouvais avoir une splendide bagnole, mais quand elle est ratatinée, elle va à la casse. Les années 70 sont pour moi comme cette voiture, et l'idée de monter sur scène relève du cauchemar. »



II n'en reste que Robert Wyatt, inoxydable passionné de la musique et du rythme, continue d'assurer les ambiances rythmiques de ses productions, tout en ayant des vues précises sur l'instrument. Il est de ceux qui considèrent que la batterie est trop utilisée comme un instrument global alors qu'elle est un amalgame de plusieurs instruments avec leur histoire propre et leur diversité de son :

« Depuis que je ne peux plus jouer de la batterie, je réalise à quel point un set de cymbales peut sonner, quelle variété de sons tu peux obtenir, et je trouve dommage qu'on ne considère pas assez le potentiel de chaque instrument du grand tout qu'est la batterie. Je reste totalement subjugué par ce que peut faire Billy Higgins. Higgins réussit à créer des ouvertures à la charley hallucinantes. Ce n'est pas un "tchip" comme tu les entends. Ce n'est pas une ouverture où la cymbale du haut retombe sur celle du bas. C'est une vague. Rien que ce son est un swing. Le son qui est produit est d'une beauté épatante. Je me suis dit qu'il fallait utiliser chaque instrument de la batterie avec un tel soin, un tel souci du son. Sur mon dernier album, j'ai tenu à utiliser les cymbales comme une "fracture permanente", en jouant les mêmes figures des deux mains, mais en créant un petit décalage entre chacune d'elles. J'ai noté également que quand on jouait un shabada, ce qui suscitait le swing c'était la charley sur le 2 et le 4. Si tu retires la charley, tu te rends compte que souvent ça ne swingue pas. Billy Higgins quand il joue, il met tellement d'intention sur la ride que ça swingue tout seul. Du coup la charley n'est plus un accessoire mais un vrai instrument. On n'utilise jamais la charley comme un réel instrument. Et cette règle s'applique à toutes les cymbales. On les utilise mal, on ne fait que les frapper. On privilégie la grosse caisse et la caisse claire, mais ce que tu peux tirer d'une cymbale est surprenant pour peu que tu prennes le temps de t'y attarder. »

Puisqu'il y a trente ans, Robert Wyatt déterminait une nouvelle façon de jouer de la batterie avec Soft Machine, il semblait inévitable de lui demander quelle était sa vision de l'avenir de notre instrument.

« Mon point de vue est assez limité, et puis je ne travaille pas pour un magazine de batterie (rires). Cela dit, au lieu d'avoir une vision globale, je préfère me concentrer sur le ressenti et le feeling de certains batteurs. J'adore le feeling de Mark Mondesire. J'aime aussi Helge Norbakken, qui est un batteur qui joue avec une chanteuse portugaise, Maria Joao (qui s'est également entourée de Miroslav Vitous, de Trilok Gurtu ou encore de Manu Katché ndj). Il est étonnant à jouer avec des batteries détendues au maximum, à les cogner comme le ferait un poids lourd. Il a un feeling unique, hors de commun. Plutôt que de voir dans la globalité, je préfère me concentrer sur le feeling de quelques-uns. Je ne sais pas quoi dire, si ce n'est qu'il reste de très bons jours à la batterie. ».


Jean-Baptiste Mechernane

     
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