One Night Stand
2015

W M W S

   
 


 
CITIZEN JAZZ - 16 avril 2023

WMWS : One Night Stand
Sur la platine / Une histoire sans lendemain

Robert Wyatt, Dave MacRae, Gary Windo, Richard Sinclair : WMWS ou l’histoire d’un enregistrement unique.

Denis Desassis


 

WMWS, One Night Stand. Un disque qui n’aurait pas dû voir le jour. Ou plutôt – soyons précis – qui doit son existence à une série de circonstances sur lesquelles il apparaît que les personnages impliqués ne pouvaient pas forcément agir. Il est temps de vous raconter en quelques mots cette histoire très particulière.

Nous sommes à Londres en 1973, au printemps plus exactement. Un quarteron de musiciens a décidé de se réunir sous la bannière de la musique improvisée et le nom de WMWM. Derrière ces quatre lettres se cache du beau monde, c’est un euphémisme : il y a Robert Wyatt, qui a quitté Soft Machine depuis quelque temps, avant d’explorer en solo la fin d’une oreille puis de s’accomplir dans une nouvelle formation ayant publié deux albums au cours de l’année 1972, Matching Mole (appréciez le jeu de mots franco-anglais). À cette époque, le batteur a déjà commencé à travailler sur les compositions de son prochain disque, qui s’avérera son chef-d’œuvre. Rock Bottom, enregistrement culte, verra le jour l’année suivante et continue de briller de ses feux douloureux, aujourd’hui encore. Précisons pour bien comprendre la rareté des moments dont il est question ici qu’en ce mois d’avril 1973, Wyatt ignore – et pour cause – que quelques semaines plus tard, au mois de juin, une chute de plusieurs étages le privera à jamais de l’usage de ses jambes et infléchira le cours d’une carrière qui le verra s’élever malgré lui au rang d’icône. Autre musicien impliqué dans l’affaire WMWM, le pianiste Dave MacRae, lui-même ancien membre de Matching Mole et très actif sur la scène londonienne ; un complice parfait pour Wyatt, comme on le devine. Le saxophoniste Gary Windo, quant à lui, est un Anglais ayant longtemps vécu aux Etats-Unis, mais revenu sur ses terres natales quelques années plus tôt ; il est de ceux qui ont participé à des expériences telles que le Brotherhood Of Breath de Chris McGregor ou le Centipede de Keith Tippett, une formation géante rattachée à l’École de Canterbury, comptant parmi ses membres, entre autres artificiers, des musiciens de Soft Machine, passés ou à venir ; sans parler d’autres collaborations avec des musiciens tels que Chick Corea, Carla Bley ou... Robert Wyatt, encore lui et décidément au cœur du réacteur. Windo (qu’on retrouvera sur Rock Bottom), tout naturellement, fera un magnifique W... Quant à Ron Mathewson, contrebassiste écossais, on le trouve plutôt du côté d’un jazz « classique », et il a pu faire entendre son instrument chez Stan Getz, Oscar Peterson ou Joe Henderson. Ses antécédents ne le rattachent pas aux mêmes sources que les trois autres, ce qui ne l’empêchait pas d’être un des meilleurs sidemen du moment.

Wyatt, MacRae, Windo, Mathewson, WMWM... Le quatuor parvient à signer quelques contrats, se produisant au pub le Tally Ho à Kentish Town avant d’être engagé pour deux dates au Ronnie Scott’s Upstairs Room, une salle plus particulièrement destinée aux musiciens prêts aux expérimentations, ce qui, on le verra, correspond parfaitement à notre petite bande.

Sauf que... Mathewson étant indisponible pour le second concert à l’Upstairs Room le 14 avril 1973, il fallut lui trouver un remplaçant et c’est un certain Richard Sinclair qui s’y colla. Bien lui en prit, lui l’ex-bassiste de Caravan, parti ensuite tenter l’aventure d’une des plus belles formations du jazz rock anglais, Hatfield & The North en compagnie de quelques redoutables canterburyens comme Phil Miller, Dave Stewart et Pip Pyle. Et qui sera, lui aussi, au générique de Rock Bottom l’année suivante. Ce soir-là, WMWM devint WMWS !

On pouvait donc trouver pire comme doublure de Mathewson, d’autant que Sinclair fut gagné ce soir-là par l’excellente idée de venir équipé d’un petit magnétophone à cassette, histoire de conserver une trace de ce concert pour lequel son talent avait été sollicité in extremis. L’appareil sera placé à côté de l’ingénieur du son, près du mur du fond.

Les choses auraient pu en rester là, d’autant que la bande fut conservée pendant de très longues années par un ami de Richard Sinclair du côté de Kansas City, avant que Michael King, un ingénieur du son canadien, ne lui demande avec insistance de l’écouter. Et ce fut le début d’une nouvelle époque, celle de l’exhumation et de la restauration dans les meilleures conditions possibles – King a multiplié les efforts pour parvenir à une bonne restitution – d’une archive unique, dont la qualité sonore est celle d’un bootleg de qualité. Ce qui, on en conviendra, est un cadeau inespéré fait aux amoureux d’une musique organique, qui reste terriblement émouvante, cinq décennies plus tard, pour des raisons qui ne sont pas seulement musicales (souvenons-nous du drame de juin 1973). Ces moments rares virent le jour sous la forme d’un vinyle publié en trois cents exemplaires au printemps 2015, après souscription, par l’irréductible et désormais défunt magazine Improjazz, sous la houlette de Philippe Renaud dont la ténacité et tout le travail accompli au service de la cause des musiques improvisées méritent d’être salués.

L’album s’intitule One Night Stand, une expression qu’on peut traduire aussi bien par « Le temps d’une seule soirée » que par « Une histoire sans lendemain ». Comme le souligne Michael King dans les notes de pochette, l’archive présente d’autant plus de valeur qu’elle constitue une des rares occasions d’entendre Gary Windo (décédé en 1992) dans le cadre d’une petite formation, et qui est ici à son meilleur, rageur et brûlant au saxophone ténor. Surtout, les quelque quarante-cinq minutes d’enregistrement montrent à quel point les quatre musiciens, qui évoluent dans un état de liberté propice à l’épanouissement de leur créativité que le disque restitue avec bonheur, semblaient jouir de la faculté de former, distordre et reformer à leur guise la matière sonore, avec une infinie souplesse, par leurs échanges et leur sens de l’écoute. Wyatt, pas plus que MacRae, Windo ou Sinclair, ne paraît vouloir tirer la couverture à lui et le free jazz – terme commode qui veut dire ici que la musique jouée n’est pas écrite – que les quatre inventent dans l’instant résonne des échos de leur passé récent : Soft Machine (période 4) ou Matching Mole (la paire Wyatt – MacRae brille, comme on s’en doute), quand il ne prend pas çà et là, par le jeu de basse, les couleurs du Caravan que Sinclair a quitté l’année précédente (celui de Waterloo Lily, et tout particulièrement la composition intitulée « Nothing At All », où l’on retrouve un autre musicien libre, Lol Coxhill), ou ne glisse pas vers des climats caribéens presque inattendus fonctionnant à la façon d’une respiration joyeuse (sur la face B). One Night Stand est l’expression d’un mouvement fusionnel, d’un acte collectif dont la forme est par essence unique parce qu’éphémère. Nul doute que si WMWS avait pu récidiver, le résultat eut été aussi intense bien que différent. Même si Aymeric Leroy, dans son très érudit (et indispensable) L’École de Canterbury paru aux éditions Le Mot et le Reste, laisse entendre que Wyatt n’imaginait pas de suite à cette expérience, n’ayant « pas envie de se laisser à nouveau enfermer dans une situation de ce genre ». Il ajoute que WMWM « s’est avéré trop disparate du point de vue de nos aspirations musicales respectives. Ça pouvait à la limite fonctionner le temps d’un concert, ou même d’un disque, mais ce ne pouvait pas être un groupe au sens où je l’entendais. C’est mon éternel problème, mon incapacité à travailler avec des musiciens purement jazz ou rock. Ça ne fonctionne qu’avec des gens un peu bizarres se situant quelque part entre les deux ».


Illustration © Jean-Michel Thiriet

De toutes façons, les événements en décidèrent autrement, et de façon tragique. Raison de plus pour apprécier aujourd’hui plus que jamais cette occasion émouvante d’écouter une dernière fois Wyatt le batteur, musicien incomparable, instinctif et poumon du quatuor. Soyons honnêtes : son seul nom à l’affiche est une incitation à découvrir ce disque [1], parce que le grand Robert est un musicien comme il n’en existe qu’un par génération. Mais la capacité de ses compagnons d’un soir d’engager avec lui de si passionnants dialogues justifie pleinement qu’on se précipite sur ce qui est certes une « histoire sans lendemain », mais qui constitue un sacré cadeau !




 
IMPROJAZZ - septembre 2015

WMWS : One Night Stand
Improjazz PRMK LP 003

Olivier Delaporte

 

La sortie de ce vinyle puis de la version cd de cet enregistrement est non seulement une excellente idée mais aussi une sorte de pied de nez à la morosité discographique actuelle. Dans un contexte ou peu de disques arrivent vraiment à séduire, voici donc un enregistrement qui vient ou revient de très loin.

WMWM puisque c’était le nom initial du groupe n’a vécu que quelques mois durant l’année 1973, son existence ayant été brutalement stoppée par l’accident dont fut victime Robert Wyatt en juin de cette même année. A l’origine donc ce quartet était constitué de Wyatt à la batterie, Dave MacRae aux claviers, Gary Windo au saxophone et Ron Mathewson à la basse. Hormis un pirate (concert à la BBC) qui circule discrètement, il existe deux morceaux de cette formation sur l’album « anglo american » de Windo paru en 2004 chez Cuneiform, c’était déjà bien mais aussi frustrant de ne pas en avoir davantage à se mettre dans les oreilles. Avec une formation légèrement différente Richard Sinclair remplaçant Ron Mathewson et amenant du coup une guitare basse nous disposons enfin d’un album entier consacré à ce groupe. Cet enregistrement est d’importance à plus d’un titre ; d’abord il met en évidence l’incroyable richesse de cette scène musicale que l’on a appelé prog ou Canterbury mais d’un point de vue plus singulier, il souligne aussi l’ambivalence que Robert Wyatt entretenait à l’époque avec le champ de l’improvisation liée au jazz. On pourrait imaginer que Wyatt a fondé Matching Mole pour rétablir la part rock et un peu plus structurée qui tendait à disparaître dans la musique de Soft Machine. Son premier album « The End of a ear » (un chef d’œuvre) opère aussi un perpétuel balancement entre improvisations et thèmes plus construits. Mais « Rock Bottom » va donner une direction dont il ne dérogera plus, vers une musique plus écrite et plus facile à identifier du côté d’un rock très sophistiqué que du côté du jazz. « One night stand » arrive au cœur de cette période, après Matching Mole et « The end of a Ear », avant « Rock Bottom ».

« One night stand » est donc une longue improvisation mais qui se déploie en plusieurs phases. Elle commence par une ambiance presque contradictoire ou l’on peut entendre d’un côté la basse de Sinclair et le clavier de MacRae s’engager dans un dialogue assez calme, semblant vouloir installer tranquillement un thème mais dans le même temps la voix modifiée de Wyatt et les assauts sur-aigus du saxophone de Windo offrent un contrepoint en opposition à la lente progression des deux autres, cette étrange juxtaposition contient en fait en germe l’un des aspects de l’album. Puis s’installant à la batterie c’est Wyatt qui semble indiquer la direction au moins au début. En effet pendant une dizaine de minutes il n’est pas possible d’identifier avec précision un thème mais on perçoit assez clairement que les interventions des musiciens sont guidées par le rythme qui évolue d’ailleurs plusieurs fois. MacRae qui oscille entre clavier et piano est dans un premier temps un peu plus présent que Windo. Jonglant entre une rugosité contrôlée et de brusques montées dans les « hautes octaves ». Le saxophoniste apparaît puis se tait pour mieux revenir. Ses notes raisonnables ponctuées de cris sur-aigus sont tempérés par la chaleur du clavier de MacRae ; d’une certaine façon c’est aussi peut-être le clavier qui permet à Richard Sinclair de trouver sa place lui qui reste au fond assez discret et parfois même en retrait. Le jeu de Robert Wyatt ressemble à celui qu’il développait dans Soft Machine, préférant une présence plus directe à une recherche de sophistication. De fait il contribue largement à l’énergie palpable qui se dégage de cette improvisation de plus de quarante minutes. Improvisation certes mais pas dénuée de structures, j’évoquais plus haut le rythme comme base des dialogues mais à plusieurs reprises on repère aussi certaines phrases s’échappant du clavier de MacRae qui ont peut-être été écrites ou au moins fait l’objet d’un accord tacite! Régulièrement en effet il est possible d’identifier comme sortant d’une cohérence entre Wyatt et MacRae des bribes de thème plus construits qui s’évanouissent assez vite mais qui laissent une trame sur laquelle vont jongler les musiciens. le procédé est d’ailleurs parfaitement identifiable aux deux tiers de l’improvisation lorsque apparaît un motif d’inspiration caribéenne qui serait tout droit sorti de l’imagination de Windo que cela ne m’étonnerait pas et sur lequel les musiciens vont converser avec un naturel déconcertant.

Free jazz? Jazz rock? Prog? Ou tout à la fois? C’est sûrement la dernière proposition qui est la plus valable. Ce disque montre en tous cas à quel point cette scène fut bourgeonnante d’idées et de liberté. Robert Wyatt, Gary Windo mais aussi Elton Dean ou Lol Coxhill étaient à cette époque assez impossibles à catégoriser de par le simple fait qu’ils ne voulaient pas se restreindre. C’est précisément ce que montre ce disque qui ne ressemble ni au free de l’époque, ni au jazz rock de Miles Davis et des autres mais pas davantage à « fourth » de Soft Machine. Un disque dont l’intensité et la sobriété manquent actuellement. Ce « One night stand » permet aussi d’apprécier Richard Sinclair et Dave MacRae dans un univers musical qu’ils n’ont pas trop eu l’occasion de côtoyer et il offre encore une chance d’entendre le fantastique Gary Windo dont les préoccupations étaient moins carriéristes qu’artistiques; il en résulte une liste d’enregistrements inversement proportionnelle à son talent; de ce point de vue WMWS vient donc un peu rendre justice. S’il fallait encore trouver une raison pour se procurer ce disque, rappelons que l’on aura vraisemblablement pas d’autres occasions d’entendre ce groupe aussi génial qu’éphémère.



 
LE SON DU GRISLI (blog) - septembre 2015

WMWS
One Night Stand

Pam Windo

 

ONE NIGHT STAND is Michael King’s last gift to the fans of the UK”s improvised music scene of the 1970s. Of course, like everyone else, I had no idea it would be his last. As a longtime friend, I knew he was very troubled that music could be downloaded for ‘free’ on the Internet, and he positively hated what he considered “the catastrophe” of today’s technology….even though he used some of it to engineer and re-master the lost treasures he always had the knack to discover. ONE NIGHT STAND is one of those treasures.

The recording was made one night in the Upstairs Room at Ronnie Scott’s Club on Frith Street, in those days a rather seedy red-light district. The continuous 45-minute improvisation is both flowing and serious in tone. It would be Robert Wyatt’s last performance playing drums, as he would have his back-breaking accident only two months later.

I was in touch with Michael King for weeks about the CD, a copy of which he had sent me to listen to. He was concerned about how the musicians would get paid, and kept hesitating about where to place it. He was also, as usual, concerned about the sound quality. I suggested that it was a 40-year-old recording, that it was a brilliant and unique performance, and that he should go with the offers he had. I also said: “Keep your creative force moving along and do this album.” And he did. A few months later he committed suicide. The recording is now out on vinyl and on CD, and he would be very proud.




 
LE SON DU GRISLI (blog) - septembre 2015

WMWS
One Night Stand

Pierre Cécile

 

Il est vrai… j’étais venu là (à l’Upstairs Room du Ronnie Scott’s Club le 14 avril 1973 sur invitation du label Improjazz) pour Robert Wyatt. A la batterie, il faisait pulser (et comment !) l’improvisation d’un quartette d’un soir. Avec lui, il y avait le saxophoniste Gary Windo, le claviériste Dave MacRae et le bassiste Richard Sinclair. Juste après l’enregistrement de Rock Bottom, l'homme de Soft Machine travaille à une tout autre affaire. Plutôt de manière informelle, comme on dit, il improvise. Avec MacRae son comparse de Matching Mole, il donne au set un goût de rock prog et de fusion (le clavier électrique n’y est pas pour rien, MacRae faisant même penser au Chick Corea des seventies sur la deuxième face). Mais malgré l’efficacité du duo, c’est peut être Windo qui opère le mieux et donne une cohérence aux nombreuses séquences de jeu. Plusieurs fois il intervient avec autorité et, dans ses solos, vire au free. A ma grande surprise, et pour mon plus grand plaisir. D’ailleurs, si j’étais venu là pour Robert Wyatt, c’est bien Gary Windo qui aura retenu mon attention. Depuis, il l’a même conservée.



 
       

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