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 Ornette Coleman 1930-2015 by Robert Wyatt - The Wire - June 2015
 Ornette Coleman par Robert Wyatt - ImproJazz - N° 218 - septembre 2015



Ornette
Coleman
par
Robert
Wyatt




Lorsqu'on interroge Robert Wyatt sur ses influences ou tout le moins ses admirations musicales, quelques noms reviennent systématiquement : Charles Mingus, Charlie Haden, Miles Davis, Elvin Jones, Thelonious Monk, Cecil Taylor (liste non exhaustive) et Ornette Coleman, of course, le créateur avec son double-quartet du Free Jazz A Collective Improvisation (1961) qui porte si bien son nom !

Quelques jours après le décès d'Ornette Coleman le 11 juin 2015, The Wire a publié sur son site cette déclaration d'amitié de Robert Wyatt à l'homme et au musicien disparu. La revue ImproJazz l'a traduite et publiée à son tour dans son numéro de septembre 2015.


As part of our online tribute to Ornette Coleman, who died on 11 June, Robert Wyatt explains why he loves the saxophonist’s earliest recordings so much.



Ornette Coleman in the late 1950s.
Photo: William Claxton/Courtesy Demont Photo Management



To begin at the available beginning. Ornette Coleman live at the Hillcrest Club, October 1958. On piano: Paul Bley (which may explain what Carla was doing there, recording it). Already, their take on a standard, the Don Cherry feature “How Deep Is The Ocean”, is stretched beyond its bounds. Like Ornette's later recorded “Embraceable You”, it is a totally fresh take – as far from the subject matter as the cubist portraits by Picasso. Similarly true to their emotional source, though.


Musicians can and maybe must discard their earlier attempts.
We, listening to the preserved imprints, are under no such obligation.

 

(I’m actually very grateful to hear what Paul Bley was already up to at that time, in that context.)


And I find Ornette's earliest recordings so moving. His voice is immediately unique, as if he were the last surviving speaker of an ancient language. So the musicians he works with are naturally encouraged to find their own uniqueness. The Hillcrest recording begins with a lengthy, barnstorming… “Klactoveesedstene”! A Charlie Parker tune, tricky even by the composer's standards. The group sails through the tune itself with a deftness that should silence any sceptic who doubts their grasp of the idiom they inherited.


I only met Ornette Coleman a couple of times – what a gent. Did he ever raise his speaking voice in anger? It's hard to imagine. What I remember is his (often mentioned) amused but welcoming Old World courtesy. (He was, by the way, as is the wonderful Archie Shepp, a very snappy dresser. Just see the photographs: no shabby chic for Ornette!)


But why do I love Ornette Coleman quite so much? Well, I’ll leave it to others to celebrate his significance to subsequent explorers of the freedom principle. What has always warmed my heart, in the end, has little to do with his influence on younger improvisors. It is the timeless vocal beauty of the actual sequences of notes and phrases he could come up with, and the feeling of pure living joy of playing they can communicate.


Ornette dead? The way I hear it, Ornette's heartbeat's as alive, in the ether, as it ever was.


Robert Wyatt


 
 



Commençons avec son quartet d'origine. Ornette Coleman live au Hillcrest Club, en octobre 1958. Au piano, Paul Bley (ce qui explique peut-être la présence de Carla qui enregistrait le concert). Déjà, leur version du standard "How Deep Is The Ocean", avec Don Cherry en solo, est poussée au-delà de ses limites. Comme avec sa version plus tardive de "Embraceable You", on a une lecture du morceau complètement nouvelle, aussi loin du sujet que les portraits cubistes de Picasso, mais, en revanche, tout aussi proche de la source émotionnelle.


Les musiciens peuvent, et peut-être doivent, s'éloigner de leurs premières ébauches. Mais nous, lorsque nous écoutons les enregistrements qui restent, nous n'avons pas du tout les mêmes obligations. (En fait, je suis très reconnaissant de pouvoir entendre ce que Paul Bley faisait déjà à cette époque, et dans ce contexte). Et je trouve les premiers enregistrements d'Ornette particulièrement émouvants. Sa voix est d'emblée tellement unique, comme s'il s'agissait du dernier locuteur vivant d'une langue ancienne. Naturellement, donc, les musiciens avec qui il travaillait étaient encouragés à trouver leur propre singularité. Les enregistrements du 'Hillcrest' commencent par un "Klactoveesedstene"! aussi long qu'enflammé. Ce morceau de Charlie Parker est complexe, même selon les normes de son compositeur. Cependant les musiciens l'interprètent avec une aisance qui cloue le bec à n'importe quel sceptique qui aurait pu douter de leur maitrise de l'idiome dont ils étaient les héritiers.


Je n'ai rencontré Ornette qu'à quelques rares occasions, mais quel gentleman c'était. A-t-il jamais élevé la voix sous l'effet de la colère? On a du mal à l'imaginer. Ce dont je me souviens (et beaucoup l'ont mentionné) c'est sa courtoisie d'un autre âge, son air amusé mais bienveillant. Il était, par ailleurs, toujours tiré à quatre épingles, tout comme le merveilleux Archie Shepp. Il suffit de regarder les photos : Pas de faux vintage chic pour Ornette!


Mais pourquoi j'aime autant Ornette? Je laisserai à d'autres le soin de célébrer son importance pour ceux qui se sont engagés sur la voie du "freedom principle". Ce qui m'a toujours réchauffé le cœur en fin de compte n'a que peu de choses à voir avec son influence sur les improvisateurs plus jeunes. Ce n'est rien d'autre que la beauté vocale intemporelle de ses séquences de notes et de phrases qui étaient capables de communiquer intensément le pur bonheur de jouer.

Ornette est mort ? Mais moi j'entends toujours battre son cœur, dans l'éther, aussi vivant qu'il l'a jamais été.

Robert Wyatt


Nos remerciements à Robert Wyatt et Tony Herrington qui ont autorisé la traduction de cet article publié pour la première fois dans thewire.co.uk en juin 2015.

Traduction : Gary May et Catherine Thinland.